En Flandre, région néérlandophone de la Belgique, Kaat Bollen exerçait jusqu'il y a peu en tant que sexologue et psychologue certifiée. Durant son temps libre, l'experte médiatisée depuis une dizaine d'années vendait aussi des sextoys sur son e-shop dédié, avait par le passé réalisé le film porno A Girl's Getaway, principalement destiné à une audience féminine, et était amatrice de burlesque, l'art de l'effeuillage.
En publiant une photo d'elle-même vêtue d'un corset sur son compte Instagram privé, la psy ne se doutait pas que le cliché allait provoquer l'ire d'un de ses collègues. Ça, et révéler une misogynie flagrante, ce dernier n'ayant pas supporté non plus de tomber sur quelques autres images digitales dévoilant son corps.
Les considérant comme une raison légitime d'alerter les institutions concernées, il a déposé une plainte auprès de la Commission des psychologues de Belgique. Après une première condamnation, celle-ci vient de donner son verdict en appel et de sanctionner Kaat Bollen. Ses contenus, "trop sexy", porteraient bien atteinte à la profession. L'accusée a décidé de rendre son titre en signe de contestation.
"Il y a un an et demi, j'ai présenté un show burlesque, dans mon temps libre, dans ma vie privée", explique Kaat Bollen à la VRT, la chaîne de service public belge. "J'ai mis un corset, j'ai publié une photo sur mon compte Instagram et cela a servi à un confrère psychologue pour constituer un dossier et introduire une plainte à la Commission des psychologues". Elle déplore : "Il trouvait qu'avec mon comportement, j'avais mis le titre de psychologue en péril, que j'en avais terni l'image et que j'avais porté atteinte à la confiance que les gens ont en cette fonction ".
A côté des images, il y a aussi l'avertissement pour ses activités lucratives liées à sa boutique en ligne. "Je peux vous citer immédiatement des psychologues qui écrivent des livres. N'est-ce pas une activité commerciale ? Est-ce autorisé ? Quelle est la différence avec les sextoys ?".
Mais ce qui la touche particulièrement, c'est surtout la façon dont la sexualité et la sensualité du corps féminin sont, en 2021 encore, considérées comme "indignes". Puisque c'est le mot exact employé par la Commission, qui insiste dans un communiqué sur le fait que la désormais ancienne psychologue "doit à tout moment être consciente de son profil et de sa dignité" et que "la dignité de sa profession est affectée et son image endommagée". Des termes qui en disent long sur le sexisme qui continuer de régner.
"Pourquoi le sexy et/ou le féminin ne sont-ils pas dignes ?", réplique Kaat Bollen dans un long texte posté samedi dernier sur Instagram. "Et depuis quand nous, les psychologues, jugeons-nous de la dignité des autres ? Ne devrions-nous pas avoir l'esprit ouvert et encourager l'authenticité ? Depuis quand devrions-nous, en tant que psychologues, être plus dignes que les autres ? Ne sommes-nous pas simplement des gens qui essaient d'être là pour les autres ? Notre force en tant que psychologue ne réside-t-elle pas précisément dans le fait d'être humain et dans la rencontre entre deux personnes réelles ?"
Elle conclut, blessée : "Si être psychologue en 2021 signifie que je ne peux pas être moi-même (même pas dans ma vie privée, car c'est de cela qu'il s'agit !), alors je préfère ne pas être psychologue. C'est pourquoi j'ai décidé de mettre fin à mon appartenance au comité des psychologues (et donc de renoncer également à mon titre de psychologue). Cela fait mal et c'est difficile".
Sur les réseaux sociaux, la riposte s'organise. Le hashtag #IStandWithKaat devient viral tant l'injustice indigne le pays - et cette, fois le terme sonne juste. A tel point que Kaat Bollen déclare se sentir investie d'un combat qui dépasse son cas. "Ce week-end, j'ai reçu beaucoup d'éloges sur les médias sociaux, y compris de la part de femmes qui vivent la même chose. Je ne peux pas les abandonner", confie-t-elle à la VRT. Elle s'est donc rapprochée de l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes, précisant examiner plusieurs options, dont un recours devant la Cour de cassation.
Elle pourra en tout cas compter sur le soutien d'une consoeur, la psychologue clinicienne Lotte De Schrijver, qui a exprimé une interrogation pertinente : "Comment pouvons-nous travailler de manière éthique avec des clients et des patients qui luttent pour concilier des attitudes professionnelles et personnelles potentiellement conflictuelles, et des identités partielles, lorsque nous ne parvenons pas à maintenir une attitude ouverte et sans jugement à l'égard de nos propres collègues ?"
Du côté du gouvernement, la polémique n'a pas été prise à la légère non plus. Le vice-président flamand, Bart Somers, en charge de l'Egalité des Chances, a lui-même vivement critiqué la décision de la Commission des psychologues. Et lancé au service public : "Je trouve incroyable qu'en 2021, on condamne des gens sur base des vêtements qu'ils portent pendant leurs temps libres. En tant que ministre de l'Egalité des chances, je vais discuter avec cette commission, car je trouve que cela va à l'encontre de la liberté". C'est peu de le dire.