Déclarations indignées de l'actrice Adèle Haenel, mobilisations massives contre les violences policières, lancement du mouvement #MusicToo sur les réseaux sociaux... Cette année aura été riche en révolutions féministes et citoyennes. Mais aussi - hélas - en bad buzz bien corsés, saillies sexistes cinglantes et autres monologues de machos tout mous.
La preuve avec ce zapping du Machomètre qui a (aussi) fait 2020.
Une analyse subtile de Mohammad Mahfud MD, ou Mahfud MD pour les intimes, ministre coordinateur des Affaires politiques, juridiques et sécuritaires d'Indonésie (depuis 2019 déjà). On l'écoute sensibiliser en juin dernier le peuple indonésien au contexte de la crise sanitaire : "Le coronavirus est comme votre femme. Vous essayez de prendre le contrôle sur elle puis vous réalisez que c'est peine perdue. Alors, vous apprenez à vivre avec".
On aurait préféré ne pas l'écouter.
La presse, elle aussi, n'a pas été avare en saillies sexistes cette année. La preuve avec cette Une de Paris Match du mois de mars dernier, censée complimenter la chanteuse Angèle : "Subversive mais pas agressive". Soit une pièce de plus dans l'équation traditionnelle "Féministe = radicale = agressive/hystérique" (au choix). Au secours.
L'interprète de Balance ton quoi n'a d'ailleurs pas hésité à réagir. "A Paris Match, ils rallient mon nom, mon image et toute une 'génération' dans la case : jeune fille (en rose) qui ose donner son avis (donc 'subversive'... Il en faut peu) mais sans être 'agressive'. Oulala heureusement que je fais pas partie de ces vilaines féministes violentes et hystériques. Parce que OK, on l'ouvre, mais en restant jolies et polies SVP !", a-t-elle ironisé. Boum.
Autre pépite de presse ? Les Unes de Valeurs Actuelles, indépassables dans le vaste champ de la réflexion réac. Et parmi elles, une ode aux néo-féministes. "Les féministes sont devenues folles", titre la revue par pure provoc. Tout en calant une énumération aussi énamourée qu'époustouflante : "Elles censurent notre culture, insultent la police, fantasment le 'patriarcat', s'assoient sur la présomption d'innocence, dégradent la langue française, préfèrent la foot féminin, demandent l'égalité aux WC, cassent l'ambiance en soirée".
Oulah, ça fait beaucoup là, non ?
Trop pour une seule femme en tout cas, alors autant être en bande. Au sein de cette charge décomplexée contre le mouvement #MeToo et l'écriture inclusive (pour ne citer que cela), on retiendra particulièrement l'argument du "elles cassent l'ambiance en soirée". Une formulation cocasse vite renversée en hashtag et mot d'ordre militant.
C'est l'écrivain Marc Lambron qui en novembre dernier a pris la parole sur les ondes de France Inter. Venu présenter un projet de revisite du Petit Prince à la sauce actuelle, il a expliqué avoir imaginé les aventures d'une "petite" princesse suédoise, Greta, "qui lancerait des fatwa vegan contre la génération supérieure". Le bingo OK Boomer explose direct face à cette pique dérisoire contre la jeune activiste écologiste Greta Thunberg.
La militante suédoise est d'ailleurs un véritable attrape-boomers (malgré elle). Par-delà les tweets colériques de Donald Trump, Greta Thunberg doit aussi se farcir les drôles "d'analyses" de Bernard Pivot et Michel Onfray. Pour ne pas trop embarrasser Marc Lambron, on ne pointera pas du doigt le fait - violemment ironique - de parodier un conte philosophique qui, justement, fustige précisément la bêtise et l'arrogance infinie des adultes.
Après "Les femmes, c'est comme le coronavirus", voici le tout aussi culte "les femmes sont des animaux". Soient les propos pour le moins embrouillés (et brouillons tout court) du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, s'exprimant à l'occasion de journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, et plus précisément lors d'une conférence organisée au parlement monocaméral de la Knesset (à Jérusalem).
Depuis cette sortie en novembre dernier, on se demande encore ce que le chef du gouvernement a voulu dire par là. "Les animaux sont dotés de compréhension, d'intelligence, de sentiments. Nous sommes compatissants envers les animaux, et les femmes sont des animaux [...] Mais les femmes sont des animaux avec des droits", a-t-il assuré. Ou comment ramer pour mieux se noyer.
Autant vous dire que la sensibilisation aux violences faites aux femmes n'est pas vraiment passée.
Ca faisait longtemps, pas de panique, le revoilà : le point-presse du coronavirus. Lors du premier confinement national, en avril dernier, le magazine du Parisien s'est permis une Une plutôt malencontreuse : nous présenter les experts qui "racontent le monde d'après"... Des experts 100% masculins. Et ce alors qu'une voix comme celle de l'infectiologue Karine Lacombe (pour ne citer qu'elle) a plutôt été médiatisée par ailleurs.
Non pas que l'on doute des aptitudes du commissaire européen Thierry Breton, du climatologue Jean Jouzel, du généticien Axel Kahn et de l'essayiste Yascha Mounk, tous mis en couv'. Mais l'on s'interroge : où sont les femmes ? A la même période, Paris Match (encore) dévoilait le temps d'un reportage la réunion du Conseil scientifique Covid-19 à l'Elysée, "conseil de guerre" au sein duquel le masculin l'emporte toujours. On pense à l'expression des députées Elsa Faucillon et Clémentine Autain : le monde du coronavirus est celui du "coronaviril".
Monde d'après, vraiment ?
"Haenel, tu es minuscule par rapport au talent de Roman ! Tu es qui pour avoir un melon et te la raconter comme face à un monstre vivant ! Tu fous la gerbe !". Difficile d'oublier ce post Facebook (public) écrit par le directeur de casting Olivier Carbone peu après la 45ème cérémonie des César. Cérémonie qui avait abouti au sacre de Roman Polanski et au départ indigné de la comédienne Adèle Haenel. Un coup de gueule virulent qui n'a pas plu à tout le monde apparemment.
D'où ce post ouvertement insultant mis en ligne en mars dernier. "Vu mes sources, Haenel tu vas avoir une bonne surprise très prochainement avec une bonne omerta, carrière morte bien méritée qui lui pend au nez ! Vous êtes tous des gros minables de vous comporter comme des hyènes sur Polanski ! Vous n'aviez [qu'à] pas aller à la cérémonie un point c'est tout !", y écrit encore le directeur de casting furibard. C'est le grand amour, quoi.
"Faut qu'elle arrête, elle est insupportable", "Justine c'est comme la coriandre, soit tu l'aimes soit tu la détestes", "Possible de débrancher Justine ?", "Elle m'a déjà fatiguée", Voilà un florilège non-exhaustif des compliments qu'a pu recevoir Justine, l'ancienne candidate de Top Chef, lors de sa participation remarquée à l'émission culinaire. Sur les réseaux sociaux, les paroles anonymes les plus salées ont fait retentir leur ire sans le moindre filtre.
Pourquoi ? Car Justine (Piluso de son nom complet) est une cheffe cuisinière enthousiaste, qu'elle sourit souvent, dénote par son énergie et son dynamisme. Bref, que c'est une jeune femme talentueuse de 27 ans et qu'elle pète le feu. Ou encore, comme l'analyse si justement le psychologue clinicien Samuel Dock, "qu'elle est rupture avec une société qui fait la gueule car elle est joyeuse dans un monde qui ne l'est pas". C'est bien dit.
Autre salle autre ambiance (quoique) que le plateau chillax de C à Vous, la célèbre émission de France 5. Show pas vraiment connu pour ses débats contradictoires et enflammés. Et ce n'a pas loupé au tout début de l'année écoulée au vu du manque de réactions suscité par cette remarque du chanteur Serge Lama : "J'ai connu des femmes à l'époque qui auraient, je pense, dit que je les avais violées alors que c'est moi qui ne voulais pas. Je n'aimerais pas prendre l'ascenseur avec une femme aujourd'hui, c'est dangereux", a-t-il assuré à Anne-Elisabeth Lemoine.
Une autre preuve s'il en est que #MeToo angoisse les boomers. Histoire de s'en assurer, rappelez-vous de cette sortie de notre Michel Sardou national à propos de son titre à succès polémique Femme des années 80 : "Les féministes n'ont rien compris. Elles n'ont rien dans la tête".
Oui, en France, on a les philosophes qu'on mérite.