La sentence vient de tomber. Lundi 28 décembre, la Saoudienne Loujain al-Hathloul a été reconnue coupable de "diverses activités prohibées par la loi antiterroriste", et condamnée à 5 ans et 8 mois de prison. Une peine assortie d'un sursis de 2 ans et 10 mois "à condition qu'elle ne commette pas de nouveau crime dans les trois ans". En tenant compte du temps qu'elle a déjà passé derrière les barreaux, elle pourrait être libérable en mars. Le jugement lui interdit également de quitter le pays pendant cinq ans.
Un verdict que sa famille conteste. "Nous sommes extrêmement déçus (...) Nous allons faire appel même si nous n'avons pas d'espoir dans le système judiciaire saoudien", déclare Walid al-Hathloul, son frère, interrogé depuis le Canada par l'AFP. Le ministre saoudien des affaires étrangères Fayçal ben Farhan rapporte que la militante est accusée d'avoir été en contact avec des Etats "hostiles" au royaume et d'avoir transmis des informations confidentielles. Pour autant, le gouvernement n'en aurait apporté aucune preuve tangible, soutient la famille al-Hathloul.
Après son arrestation en mai 2018 pour avoir défendu le droit des femmes à conduire, en tentant notamment de franchir la frontière au volant, et sa mise à l'isolement pendant sept mois, la jeune femme de 31 ans avait été transférée en octobre dernier devant le Tribunal antiterroriste. Selon plusieurs organisations de défense des droits humains, cette juridiction spécialisée créée en 2008 sert en réalité largement à juger des prisonniers politiques. A l'époque, Amnesty International qualifiait la décision de justice de "cauchemar". Aujourd'hui, l'ONG critique de nouveau vivement les autorités locales, dénonçant une condamnation "absurde, invraisemblable, abjecte".
"Loujain al-Hathloul est une courageuse défenseuse des droits de l'homme dont l'activisme pacifique, avec d'autres courageuses militantes saoudiennes, a entraîné un changement social considérable en Arabie saoudite", salue Heba Morayef, directrice régionale d'Amnesty International pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. "Cette condamnation, bien que partiellement suspendue, montre encore la cruauté des autorités saoudiennes envers une des femmes les plus courageuses qui a osé s'exprimer sur ses rêves d'une meilleure Arabie saoudite."
Elle poursuit, insistant sur le contraste flagrant entre la façon dont le royaume traite les activistes et le message "progressiste" qu'il veut faire passer à l'international. "Avec ce procès profondément entaché d'irrégularités et la poursuite de la répression implacable contre les militants et les défenseurs des droits humains, l'Arabie saoudite a prouvé que sa rhétorique sur la réforme des droits humains est totalement creuse."
Peu après l'annonce du jugement, les diplomaties allemandes et françaises ont rapidement réagi. "Comme nous l'avons déjà dit publiquement à de nombreuses reprises, nous souhaitons la libération rapide de Mme Loujaïne Al-Hathloul", martèle un porte-parole du ministère français des affaires étrangères. "La France rappelle sa mobilisation constante en faveur des droits de l'homme et de l'égalité entre les femmes et les hommes."
Outre-Rhin, le gouvernement a de son côté soutenu que "libérer Mme Al-Hathloul dès maintenant, et donc avant la conclusion du procès" représenterait un "signe positif". La commissaire fédérale aux droits de l'homme et à l'aide humanitaire, Bärbel Kofler, analyse également : "Son cas est l'un des nombreux [cas] qui montrent que les autorités saoudiennes agissent avec une sévérité excessive à l'encontre des militants des droits de l'homme".
"Les rapports de torture de Mme Al-Hathloul ainsi que sa mauvaise santé sont très inquiétants, et il est incompréhensible que le tribunal n'ait pas enquêté sur ces allégations", ajoute-t-elle. En prison, dans les semaines qui ont suivi son arrestation, Loujain al-Hathloul a ainsi témoigné avoir subi des actes de torture par noyade, électrochocs ainsi que des sévices sexuels.
Lors d'une interview pour le New York Times, Lina al-Hathloul souligne avec colère : "Ma soeur n'est pas une terroriste, c'est une militante. Être condamnée pour son activisme en raison des réformes que [le prince héritier MBS] et le royaume saoudien vantent si fièrement est l'hypocrisie ultime".