Du 8 au 14 novembre 2020 a eu lieu la cinquième édition du Sommet du cycle menstruel. Un événement organisé par Gaëlle Baldassari, la fondatrice de Kiffe ton cycle, une plateforme pour tou·te·s qui entend libérer la parole autour des règles. Cette année, le thème de la puberté était à l'honneur. On y a parlé menstruations... mais pas uniquement. Sexualité, aussi, et des tabous qui continuent d'entourer ce sujet pourtant si essentiel.
Parmi les intervenant·e·s, la youtubeuse et love coach Nadia Richard y donnait une visioconférence. Sur sa chaîne baptisée Utile futile, elle aborde au quotidien tout une tas de questions liées au sexe et aux relations. Des vidéos décomplexantes qui permettent aux plus jeunes de trouver des réponses détaillées à leurs interrogations, avec bienveillance et surtout sans culpabilisation, et qui n'excluent pas non plus les adultes.
En y jetant un oeil, on trouve des conseils de coeur qui nous auraient très certainement facilité la tâche à 13 ans (ou même à 27), un guide pratique sur la première fois qui rassure autant qu'il informe ("Comment savoir si on est prêt·e ? Comment savoir si c'est la bonne personne ? Si mes parents sont pas d'accord ? Est-ce que ça fait mal ?"), ou encore des rappels indispensables sur le consentement - dont les séquences ont pourtant été "démonétisées par Youtube", dénonce la jeune femme.
Au fil d'une longue discussion, elle nous donne quelques conseils pour lancer la conversation avec les ados de notre entourage, évoque l'absence notoire d'éducation sexuelle en France et alerte contre les dangers d'Internet et des réseaux sociaux. Echange.
Nadia Richard : Contrairement à ce que l'on pourrait penser, elle n'est pas uniquement dédiée aux ados. Quand j'étais gamine, mon père me disait toujours : "En ce qui concerne les histoires d'amour, les gens ne vieillissent pas : ils changent juste de cours de récré". Qu'on ait 25, 45, 65 ans, on se comporte de la même façon. Ma chaîne parle donc à tout le monde.
Certes, il y a les vidéos sur la première fois, mais je m'adresse aussi à toutes les personnes qui ont un problème avec elles-mêmes, de coeur, qui cherchent une solution et qui ont besoin d'être rassurées. J'ai d'ailleurs souvent des retours d'internautes qui ont la trentaine et trouvent mes contenus utiles à leur âge, ou bien auraient aimé tomber dessus quand ils·elles étaient ados.
N. R. : Parce que personne n'en parle, justement ! C'est un sujet tabou, ça n'a pas évolué ces dernières années : au collège, on a encore un seul cours d'éducation sexuelle, très gênant, où l'on apprend aux élèves à mettre un préservatif sur un doigt et où personne n'ose poser des questions. Les ados préfèrent se les poser entre eux, ces questions. C'est trop intime, personnel pour en discuter devant tout le monde. Et par le biais d'une chaîne Youtube qu'ils peuvent regarder dans l'intimité de leur chambre à l'abri des regards, l'information semble mieux passer.
N. R. : J'ai l'impression que c'est encore plus tabou chez les garçons. 35 % des personnes qui me regardent sont des garçons. Ils souffrent beaucoup en silence, se posent plein de questions seuls, sans se confier, car c'est très difficile pour eux d'assumer qu'ils n'ont jamais embrassé, ni couché. Alors que les filles parlent davantage entre elles. Il y a moins de compétition que chez les garçons, pour qui la sexualité tourne plus souvent autour de la performance. Du coup ils n'ont pas de réponses à ce qui les tourmente. Et finissent par s'en remettre à Internet.
N. R. : Tout à fait. Au-delà des réseaux sociaux, je parlerais davantage d'Internet dans son ensemble. C'est une source d'info merveilleuse. Mais il y a un revers où l'on impose une image de perfection, pas de boutons, des corps ni trop minces ni trop gros. Où tout est commenté. Je me suis personnellement rendu compte d'à quel point le monde peut y être cruel.
Ça peut être un moteur dans le sens où c'est beaucoup plus facile d'interagir avec quelqu'un, de faire des rencontres, de discuter, mais ça met aussi une pression de dingue. Les études le prouvent : la pression est beaucoup plus forte depuis qu'ils existent. Dans le documentaire Derrière nos écrans de fumée (diffusé sur Netflix, ndlr), on voit d'ailleurs que ces plateformes ont aggravé l'anxiété et le taux de suicide chez les jeunes filles par exemple.
N. R. : Ce que je remarque, c'est que l'idée derrière les questions que je reçois est toujours : "Est-ce que je suis normale ?". On me demande des choses comme : "J'ai tel âge et je n'ai embrassé personne, est-ce normal ? A quel âge puis-je faire ma première fois ?". Car il y a des ados qui pensent le faire "tard", mais d'autres qui se demandent si 13 ans est un âge approprié.
J'essaie de toujours répondre de manière bienveillante, sans culpabiliser. Je suis confrontée à des enfants dont je ne connais pas le vécu ni la maturité, et surtout, je ne veux pas que la culpabilité ait sa place dans la sexualité, particulièrement auprès des jeunes filles.
N. R. : Je n'ai pas d'enfants, mais j'ai deux frères dont j'ai été une sorte de maman de substitution. Mes parents étaient assez fermés sur la question du sexe, donc à chaque fois que l'un ou l'autre essayait d'aborder le sujet, j'en faisais ce que j'appelle un "non-évènement".
Je vous donne un exemple : un jour, alors que j'avais 15 ans, j'ai pris ma pilule devant mon frère qui en avait six. Il m'a demandé ce que je faisais, et j'étais évidemment très mal à l'aise. Mais je me suis dit qu'il fallait que je réponde de façon à ce qu'il sente que ce n'est pas grave, et surtout que ce n'est jamais gênant de me poser une question liée au sexe. Alors, j'en ai fait un non-évènement : je lui ai expliqué calmement et clairement "c'est une pilule contraceptive, et ça me permet de ne pas tomber enceinte".
Et finalement, aujourd'hui, à 20 ans, mon frère est très libéré à ce niveau et s'il a un problème, il m'appelle. Je pense que c'est essentiel de montrer qu'il n'y a aucun problème, que ce n'est pas gênant d'en parler. Pour que l'ado trouve un endroit sûr où justement se confier et obtenir des réponses.
N. R. : Oui, il le faudrait. Mais le problème c'est que les adultes sont eux-mêmes gênés quand ils en parlent. Peut-être qu'il serait judicieux d'utiliser les modes de communication des ados, de recommander des Youtubeurs par exemple, voire d'envisager une collaboration. Ou bien encore imaginer un vrai système de questions anonymes, qui permettrait aux élèves de se livrer sans crainte. Les adultes oublient parfois à quel point les ados sont gênés.
N. R. : J'ai publié récemment une vidéo sur le consentement, et une autre sur le harcèlement. Les deux ont été démonétisées par Youtube. C'est-à-dire que non seulement elles ne génèrent pas de revenus, mais surtout elles ne sont pas mises en avant sur la plateforme, même carrément dissimulées. Et ce, pour la simple raison que Youtube estime que ces sujets ne sont pas adaptés aux publicités. Et je me bats contre ça, c'est une forme de censure qui revient systématiquement dès qu'on les traite.
Pour en revenir au consentement, je suis choquée par les propos de certain·e·s internautes. On n'y est pas du tout, il y a un réel problème d'éducation à ce sujet. On n'en parle pas assez. Un garçon ou une fille qui insiste alors que son partenaire ne veut pas faire l'amour, c'est déjà un non-respect du consentement. Et c'est grave. Pour les filles comme pour les garçons, il faut le rappeler : faire l'amour n'est pas un devoir.
N. R. : Car cela crée de la culpabilité. Chez les jeunes filles mais aussi chez les jeunes garçons. Le tabou fait naître une non-tolérance envers soi-même. On se sent de plus en plus seul·e et de plus en plus coupable de ne pas savoir, de tenter des choses : c'est en cela que c'est nocif.