"Spectacle honteux", "humiliation publique", "lynchage", "face-à-face insupportable". Sur Twitter, les mots des téléspectateurs ne sont pas assez forts pour décrire le malaise qu'a constitué la venue de Sandrine Rousseau dans On n'est pas couché. Invitée pour la sortie de Parler (Éd. Flammarion), où elle raconte l'agression sexuelle qu'elle a subi de la part de Denis Baupin, l'ex-cadre d'Europe Écologie-Les Verts Sandrine Rousseau s'est retrouvée accablée jusqu'aux larmes par Christine Angot et Yann Moix. Incapables d'entendre le message de Sandrine Rousseau sur les violences qu'elle a subi et le silence assourdissant qu'elle a dû accuser quand elle s'est décidée à parler, les deux chroniqueurs ont fait montre d'une violence inouïe à son égard.
Depuis vendredi et les révélations de L'Express sur le départ avec fracas de Christine Angot du plateau, on peut dire que son face-à-face avec Sandrine Rousseau était attendu. France 2 a finalement fait le choix de couper au montage le moment de son départ, mais a laissé celui où l'on voit Sandrine Rousseau en larmes.
Signe que le sujet des violences sexistes et sexuelles est un sujet éminemment délicat, c'est Christine Angot qui s'est montrée la plus virulente envers Sandrine Rousseau. Elle qui, pourtant, a écrit en 1999 L'Inceste (Stock), où elle raconte les viols répétés que lui a fait subir son père quand elle était enfant.
C'est lorsque l'ex-élue explique qu'EELV (Europe Écologie-Les Verts) a créé une cellule d'écoute pour "accueillir la parole" des victimes de violences sexuelles que Christine Angot est sortie de ses gonds (à 6'40). "Pour accueillir la parole ? Mais qu'est-ce que j'entends ? [...] Non, mais moi, attendez, je retourne dans ma loge. Ce n'est pas possible ! Je ne peux pas entendre cela [...]. C'est du blabla", s'est-elle emportée face à une Sandrine Rousseau médusée. "On ne fait pas dans un parti politique la question des agressions sexuelles ! On le fait avec l'humain", poursuit Angot. "Ça ne s'est pas fait, se défend alors Sandrine Rousseau. Je l'ai dit à toutes les directions d'EELV depuis que ça m'est arrivé. Y'a personne...". "Mais évidemment que y'a personne", la coupe la chroniqueuse. "Ça n'existe pas. C'est comme ça, il faut se mettre ça dans la tête. Il n'y a personne qui peut entendre." "Mais comment on fait ?", demande alors Sandrine Rousseau. "On se débrouille !", lui rétorque Christine Angot, avant de quitter – on le suppose – le plateau à ce moment de l'échange.
Touchée par les critiques, les larmes aux yeux, Sandrine Rousseau poursuit malgré tout son intervention et explique son engagement au sein de son association Parler à laquelle elle compte se consacrer pleinement désormais. C'est ce moment que choisit Yann Moix pour reprocher à Sandrine Rousseau de non pas porter une parole, mais "un discours" de femme politique (à 9'35). "Les hommes politiques, dont vous faites d'une certaine manière partie, sont dans un autre cosmos, un autre univers". Sous-entendu : parce que vous faites "d'une certaine manière" (notons tout de même le mépris pour son engagement et les fonctions qu'elle a occupées au sein d'EELV) partie des hommes politiques, votre parole est irrecevable car elle se situe hors-sol, déconnectée de ce que vivent les autres femmes. "Ça je ne peux pas l'entendre [...] Vous n'imaginez pas la violence de ce que vous dites. C'est l'histoire que j'ai vécu que je raconte. Ce n'est pas discours que je porte !", s'emporte à son tour Sandrine Rousseau, qui est à nouveau interrompue par Christine Angot.
C'est ce moment, en particulier, qui est insoutenable. Personne n'écoute Sandrine Rousseau. Sa souffrance et sa manière de la gérer – par l'engagement associatif - se heurtent à un mur. On lui reproche de tenir un discours sur les violences sexuelles parce qu'elle veut, par le biais de son association, aider les femmes à briser la loi du silence qui profite aux agresseurs. En réalité, ce sont les deux chroniqueurs qui tiennent ici le rôle de bourreaux en discourant sur ce qu'elle aurait dû écrire, sur la manière dont elle aurait dû "gérer" son agression. Je n'ai pas lu le livre de Sandrine Rousseau mais il est évident ici que le propos de son livre a été en partie occulté par les reproches qu'on émet à son encontre. Parce qu'elle est une femme politique, elle aurait dû se taire, ne rien dire, "faire avec", comme lui conseille Christine Angot.
Ces quelques minutes d'échanges sont d'une violence indescriptible. Pas seulement parce que Sandrine Rousseau est acculée par les deux chroniqueurs. Mais parce que personne sur le plateau ne prend sa défense. Une fois encore, c'est la victime qui se trouve à devoir se justifier, à justifier le bien-fondé de sa démarche. Il n'y a qu'à voir combien de fois le nom de Denis Baupin a été prononcé durant cette séquence. Une seule fois.
Sur Twitter, nombreux sont les internautes à avoir pris la défense de Sandrine Rousseau, indignés par la violence des reproches dont les deux chroniqueurs l'ont accablée.
"Ces victimes qui se vantent de "s'en être sorties toutes seules" alors que n'importe qui peut voir à 10 kilomètres qu'elles sont en grande souffrance. Vous savez quoi ? Personne ne se remet tout seul de telles violences, non pas parce que nous sommes faibles mais parce que nous sommes humains, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. C'est tellement plus facile de traiter autrui comme autrui nous traite/a traités, mais ce n'est certainement pas comme ça qu'on va régler le problème des violences sexuelles et sexistes. Car comment lutter contre ce fléau si on est incapable de se reconnaître soi-même comme victime ou si on décrète, comme consolation éphémère et illusoire, que notre statut de victime nous octroie le droit de devenir bourreau ?", se demande sur Facebook la féministe Éloïse Bouton.
Bousculée mais pas ébranlée, Sandrine Rousseau a elle décidé de poursuivre son combat. Dans un communiqué diffusé sur Twitter, elle explique regretter que le débat houleux ait laissé de côté l'essentiel : "le fait d'être entourée de femmes qui avaient vécu la même chose" pour la soutenir dans son combat judiciaire. "Je suis persuadée que la reconstruction passe par la parole, même si c'est tout sauf simple."
Et de conclure : "Puisse cette séquence puisse ouvrir enfin le débat sur la manière d'aborder les violences sexuelles."