Militant mais pas trop, militant sur le qui-vive du moins, prêt à renifler les manipulations ou les propositions douteuses qui jalonnent toute carrière politique. Non pas une indétermination coupable mais le réflexe de la protection. C’est l’impression que donne Yacouba Djikine, jeune consultant informatique de 26 ans, dont trois passés dans les rangs du PS. Il a longuement hésité avant de s’encarter, trop jaloux de sa liberté et passablement échaudé par son détour au Mouvement des jeunes socialistes. « Trop sectaire », lâche-t-il, tout en se remémorant les querelles de clans et les tentatives de faire de lui la caution « diversité » du parti, en raison de ses origines étrangères. « Il y avait un côté démagogique, on m’a même proposé un poste de responsable sur Paris ». Mais cet esprit alerte, passé par la « voie royale » de la classe préparatoire et par une école de commerce, ne mord pas si facilement à l’hameçon. « On te met en avant pour l’image, et on te marche dessus quand il faut », achève-t-il avec incrédulité. Yacouba Djikine s’est toujours senti de gauche, en accord avec une certaine « vision progressiste de la société ». « Mes parents, des immigrés maliens, se situent à gauche en France, mais au Mali, ils seraient à droite. Ma mère aime l’ordre et la discipline, par exemple, et elle ne sera jamais favorable au mariage homosexuel », explique-t-il. « Le positionnement politique est biaisé quand on est immigré », enchaîne-t-il. Sans doute cette expérience de la relativité de l’identité politique a-t-elle joué un rôle dans la distance critique qui structure son militantisme.
« Je veux être représentant du PS, pas des Blacks de France »
Pas de quoi en faire un dissident, pour autant. « C’est bien de rêver le monde dans son coin, c’est mieux de prendre des initiatives ; et puis on est plus fort quand on agit ensemble », avance-t-il. « La discipline de parti est importante, j’y crois ». Mais c’est bien le contact noué avec plusieurs élus, notamment avec le responsable de section du 17e arrondissement de Paris, qui a motivé son adhésion au PS. « On m’y accepte tel que je suis ». Plus aucun risque d’être utilisé ? « Je ne sais pas, c’est possible, mais ce n’est pas avec ce genre d’arguments en tout cas qu’on m’a approché ; je garde une méfiance, mais il ne faut pas tomber dans la paranoïa ! », tempère-t-il. Ce n’est en tout cas pas sur la diversité que le jeune cadre entend bâtir sa carrière politique : « Je n’ai pas envie d’être le numéro 2, mais le numéro 1. Je veux être élu et représentant du PS, pas des Blacks de France ». Il a, d’ailleurs, déjà tâté le terrain : « j’aimerais occuper un mandat municipal, pourquoi pas maire du 17e arrondissement. Je le connais bien, c’est là que j’ai grandi, dans sa partie populaire, délaissée car toujours gouvernée par la droite ». Jouer des coudes, nouer des alliances, ça ne l’effraie pas : « Il faut connaître le réseau pour monter au PS, comme à l’UMP d’ailleurs, ce sont des partis implantés ». Alors si le 17e ne fonctionne pas, il se reportera sur « un arrondissement facile comme le 18e, pris depuis longtemps par la gauche » [en la personne de Daniel Vaillant ndlr].
La politique sans la langue de bois
Ils sont nombreux dans sa génération à faire du 21 avril 2002 le point cardinal de leur engagement politique. Mais pas question pour Yacouba Djikine d’entonner le couplet ronflant de la marche républicaine : « Il y a eu beaucoup de démagogie à ce sujet, c’était bien sûr choquant, ça m’a fait penser aux périodes sombres de l’Histoire, mais il faut replacer l’évènement dans son contexte. On sortait d’une cohabitation, Jospin a fait ce qu’il a pu, et il y a eu beaucoup d’abstention » [28,4%, un record depuis le passage au suffrage universel direct en 1962 ndlr], minimise-t-il. « J’étais livreur à l’époque, je me dirigeais vers Bastille, j’ai vu des gens dans la rue ; mon patron a pris peur et a décidé de fermer la boutique, alors j’ai rejoint la manifestation », se souvient-il. « Mais je ne suis pas forcément un grand défenseur de la République. Les valeurs de justice, de lutte contre le racisme, d’accord bien sûr, mais ce n’est pas forcément le meilleur système de représentation politique ». Comme c’était le cas en 2007, son emploi du temps de militant à quelques semaines de l’élection présidentielle est rythmé par les tractages (en particulier dans deux marchés de son arrondissement), l'organisation de cafés-débats et de dîners citoyens. Les réunions avec les élus d’arrondissement se multiplient pour faire face à la droite, « plus offensive », ce qui n’est pas pour lui déplaire. Il ne faut surtout pas sous-estimer Nicolas Sarkozy, un « adversaire redoutable » dont il reconnaît volontiers les qualités de « stratège ».
« On ne bâtit pas une campagne sur la crise »
La crise, voilà un sujet sur lequel le jeune militant est intarissable. Pragmatique, il prend soin de souligner « la faible marge de manœuvre » que laissent les « mécanismes économiques supranationaux » aux dirigeants. Il parie alors que « quel que soit le candidat élu, il prendra des mesures d’encadrement de la finance, comme la taxe Tobin par exemple, qui est nécessaire ». Sarkozy-Hollande, même combat ? Pas si vite. « La crise demande simplement une analyse, on ne bâtit pas une campagne sur la crise », recadre-t-il, avec le candidat UMP dans son viseur. Et de schématiser : « l’électeur aura le choix entre le pragmatisme et l’ambition à gauche, et le pragmatisme et le conservatisme à droite. Hollande est plus à l’aise sur ce terrain-là, parce qu’il a pour lui l’idéologie keynésienne, qui place l’humain au centre des valeurs », théorise-t-il. Ce qui ne l’empêche pas de juger avec sévérité la proposition du candidat socialiste de créer 150.000 emplois jeunes : « Le problème, c’est que les contrats ne sont pas prolongés, ce n’est pas une mesure durable ». « De toute façon, la solution ne se trouve pas au niveau national, ce n’est malheureusement plus possible, on est dans un monde ouvert, c’est tout », achève-t-il comme on scelle une dalle.
Elodie Vergelati
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