Depuis que les messages via téléphone ou applis composent une bonne partie de nos échanges, de nouveaux codes de communication se sont implantés dans le paysage linguistique digital. Délais de réponse, abréviations, emojis : en ligne, la langue évolue et s'enrichit de réflexes variés, selon les générations qui la pratiquent. Mais aussi inspirée soit la missive qu'on rédige à coup de pouces affûtés, quand le ton manque, l'interprétation peut vite prêter à confusion. Dans d'autres cas, un simple détail de ponctuation a de quoi alarmer le·la destinataire d'un texto. Voyez plutôt.
Quelle est la différence entre un "ça va !" et un "ça va.", un "d'accord !" et un "d'accord.", un "si tu veux !" et un "si tu veux." ? Le point, mais surtout la façon dont on lit les mots qui le précèdent. Dans les premiers exemples, on emprunte un accent enjoué, enthousiaste, guilleret. C'est sympa. Dans les derniers, on adopte une intonation plus fermée, désagréable, presque accusatrice. C'est moins sympa.
En bref, le point fait flipper, et il est d'autant plus sournois que personne ne peut réellement reprocher à l'expéditeur·ice son utilisation. Une phrase finit par un point, rien de très menaçant là-dedans a priori : c'est juste une question de grammaire.
Seulement digitalement parlant, c'est la lie. Et voici pourquoi.
Lauren Collister, chercheuse en sociolinguistique, étudie le phénomène dans un article publiée sur The Conversation. Pour la spécialiste, pas de doute, la réputation dont hérite ce fameux "point final" vient du fait qu'il est "perçu comme beaucoup trop formel", et qu'il donne l'impression que la personne qui en ponctue ses phrases est "en colère ou froide". Elle parle de décalage, dans un échange supposé léger, "du même ordre que si vous parliez de manière soutenue dans un lieu de détente comme un bar". Un peu prétentieux et pas très adapté, en somme.
Gretchen McCullock, linguiste experte ès Internet, évoque quant à elle à la BBC une subtilité pertinente. "Cela peut fonctionner si votre message aborde déjà un sujet sérieux", dit-elle. "Le problème se pose lorsque vous envoyez un message positif avec la gravité du point. C'est la juxtaposition de ces éléments qui crée ce sentiment d'agressivité passive." Traduction : "La révolution féministe est en marche." aura ainsi moins de risques de brusquer votre interlocuteur·ice qu'un innocent et pourtant incisif, "Je viens demain si c'est plus simple." Aïe.
On l'abordait plus haut, l'un des inconvénients des échanges écrits, et peu viendront le contredire, c'est qu'ils se délestent de l'expression faciale et du ton employés de l'autre côté de l'écran. Pas facile de savoir exactement ce qu'il·elle a voulu dire quand on n'entend ni sa voix, ni son rire, et qu'on ne voit pas son visage. D'où le recours à quelques codes précis pour mieux décrypter. Et forcément parmi eux, le point.
"Les textos manquent de beaucoup des repères sociaux utilisés dans les conversations en face-à-face", développe auprès du Guardian Celia Klin, autrice d'une étude menée par l'université de Binghamton, qui prouve que la fameuse ponctuation trahit un manque de sincérité, quand le point d'exclamation, lui, démontre une profondeur touchante.
"Lorsqu'ils parlent, les gens transmettent facilement des informations sociales et émotionnelles avec un regard, des expressions faciales, un ton de voix, des pauses, etc. Ils ne peuvent évidemment pas utiliser ces mécanismes lorsqu'ils envoient des SMS. Il est donc logique qu'ils se fient à ce qu'ils ont à leur disposition - des emojis, des fautes d'orthographe délibérées qui imitent les sons de la parole et, selon nos données, la ponctuation".
Pas d'excuses, donc : quand on finit par ".", on sait exactement ce qu'on fait. On plante un petit couteau aiguisé dans le coeur de la personne en face, se souciant peu de l'effet ravageur de notre message (sauf si, bien sûr, il·elle l'a mérité). On transmet notre agacement, notre mécontentement, notre désapprobation, et on signifie aussi qu'en ce qui nous concerne, le sujet quel qu'il soit, est clos.
Mark Liberman, professeur de linguistique à l'université de Pennsylvanie, analyse aussi le point comme une façon peu délicate mais volontaire de couper court à la conversation.
"Dans le monde des SMS et de la messagerie instantanée, le [comportement] standard est de terminer par un simple arrêt, sans aucun signe de ponctuation", explique-t-il. "Dans ce cas, le fait d'ajouter un point ajoute aussi du sens, car le ou les lecteurs doivent comprendre pourquoi vous l'avez fait. Et ce qu'ils en déduisent, de manière assez plausible, c'est quelque chose comme : 'Ceci est définitif, c'est la fin de la discussion ou du moins la fin de ce que je dois y contribuer'". Ambiance.
Une question nous brûle les lèvres : pourquoi tant de haine ?
Contrairement aux adeptes du point, on ne va pas y aller par quatre chemins. Et vous conseiller vivement de cesser ces insinuations glaçantes (exagéré ? Pas vraiment). Au lieu de vous compliquer la tâche à faire passer des messages loin d'être limpides par la biais d'une ponctuation brutale, rendez-vous service : agissez concrètement. En ligne voire en vrai, comme on le faisait jadis, en l'an 15 avant TikTok.
Parlez-vous, parlez-nous, exprimez ce qui vous chagrine et surtout : dites-nous si oui ou non, le fait qu'on ait maté le final de la saison 16 de Grey's Anatomy en solo y est pour quelque chose ?