Vous n’avez pas pu y échapper. Le phénomène du Selfie s’est développé sur la toile à vitesse grand V. Depuis que ce néologisme anglophone a été élu mot de l’année 2013 par le dictionnaire Oxford, le phénomène est qualifié par la presse de « nouveau narcissisme » version 2.0. Les adolescents, qui surfent largement sur la tendance, sont-ils auteurs ou victimes du selfie ? Dans un entretien accordé au site Atlantico, Yves-Alexandre Thalmann, psychologue clinicien, pointe du doigt les dangers de cette mode sur les filles. Nombreuses à utiliser cet outil, elles seraient également plus exposées aux risques. Pour Terrafemina, le psychologue revient avec deux de ses confrères sur les conséquences de cette pratique chez les « Lolitas numériques ».
L’art de l’autoportrait n’est pas nouveau. Mais les réseaux sociaux l’ont démocratisé à tel point qu’il est aujourd’hui accessible à tous. Pour Yann Leroux, psychologue et blogueur spécialiste des jeux vidéos, la pratique numérique de l’autoportrait a juste « trouvé un nom ». Le psychologue veut dédramatiser le phénomène : « Tous les gens le prennent pour de l’exhibition mais c’est autre chose. On a conscience de ce qu’on présente aux autres ». Se « selfiser » c’est vouloir se rassurer : « À l’aide de cette pratique, on vérifie, on teste simplement ». Et pour ce faire, les utilisateurs des réseaux sociaux n’hésitent pas à mettre tous les atouts de leur côté : duck face, torse nu chez les hommes, attitude sexy… tous les moyens sont bons pour être vu et revu car selon Yves-Alexandre Thalmann : « Ce qui n’est pas exposé n’est pas vécu. Être vu est la condition pour exister. » Le psychologue poursuit : « Les adolescentes utilisent plus les réseaux sociaux que les garçons de leur âge car elles ont toujours eu une avance sur eux concernant la maîtrise du langage. Les femmes sont dans le jeu de la séduction, il s’agit d’attirer l’attention par le physique. Le selfie devient donc une carte de visite. Les garçons sont beaucoup moins dans cet état d’esprit communicationnel car plus physiques. » Les garçons moins dans le virtuel et la séduction ? Un constat que partage Sylviane Barthe Liberge, psychologue clinicienne : « Les filles sont plus à l’aise que les garçons pour exprimer leurs émotions, verbalement. Il est donc logique que les garçons trouvent dans le selfie une manière plus facile d’exprimer leur ressenti. »
Mais Yves-Alexandre Thalmann rappelle que ces selfies ne sont pas anodins : en exposant l’adolescent sur les réseaux sociaux, ils les exposent au jugement d’autrui et mettent en péril leur estime de soi. C’est pour cette raison qu’il estime que les filles encourent plus de risques que les garçons. Celles pour qui « l’apparence est essentielle sur le marché de la séduction », se mettraient donc plus en danger que leurs homologues masculins : « Il me semble que les adolescentes sont plus susceptibles d’être visées par de violentes attaques : trop maquillées, elles sont qualifiées de "filles faciles". Pas assez, elles sont décrétées "malades"… L’arrière-plan peut indiquer des habitudes de vie, des choses plus intimes qui peuvent les exposer à des quolibets, ou pire, à du harcèlement », indique Sylviane Barthe-Liberge rappelant toutefois que les adolescents peuvent eux aussi être visés sur leur manque de virilité. Un avis que son confrère Yann Leroux partage : « Les filles n’ont pas un narcissisme plus fragile que les garçons, ces derniers ne sont pas non plus épargnés. » Chacun y serait donc autant exposé.
Néanmoins, les attitudes suggestives des adolescentes sur les photos impliquent des commentaires violents et souvent dégradants pour l’image de la femme. « Nous avons aujourd’hui des stars qui sont beaucoup sur le registre de l’hyperféminisation, voire de l’hypersexualisation. Il est donc logique que l’on retrouve ces deux traits dans les selfies des adolescentes », commente Sylviane Barthe-Laberge. Selon elle, il est évident que les poses prises suggèrent « des invitations à la sexualité » susceptibles d’entraîner « des commentaires forts, voire violents, face à ces images qui peuvent susciter du désir » quitte à alimenter les remarques sexistes : « Cela peut renforcer d’une certaine manière le sexisme, mais qui est déjà présent au "naturel" ». Pour Yann Leroux en revanche, le selfie ne représente pas plus de danger que la publicité par exemple : « On vend bien des yaourts en mettant des femmes en culotte, pourquoi le selfie serait plus dégradant pour l’image de la femme ? »
Faut-il mettre en garde les enfants contre cette pratique ? Yves-Alexandre Thalmann ne le juge pas souhaitable : « Il faut éviter les discours moralisateurs que les adolescents refusent d’accepter et d’écouter.» De même, Sylviane conseille aux parents et aux institutions d’agir sur un « un mode de responsabilisation et de confiance » : « L’école, où les adolescents passent le plus de temps finalement, doit aussi être vigilante sur ces questions et encadrer les adolescents, les accompagner dans une démarche réflexive. L’école doit leur permettre de développer leur esprit critique ». Yann Leroux conseille lui de prendre le temps de réfléchir à ce besoin de s’exhiber. C’est aussi l’occasion de travailler sur soi.
Manon Adoue
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