Santé
"Lorsque l'été arrive, je fais des crises d'angoisse" : elles racontent l'anxiété alimentaire
Publié le 28 juin 2022 à 18:06
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Les beaux jours sont là et les corps se dévoilent. C'est justement ce contexte que redoutent nombreuses jeunes femmes atteintes d'anxiété alimentaire. Elles racontent leur quotidien, et comment ce trouble s'exacerbe à l'approche de l'été.
Quand l'été accroit l'anxiété alimentaire Quand l'été accroit l'anxiété alimentaire© Adobe Stock
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44 % des femmes auraient connu des périodes de déséquilibre alimentaire, révèle une étude Ipsos menée pour Qare, spécialiste de la téléconsultation en France. Un chiffre aux conséquences réelles sur la vie quotidienne des interrogées, dans la sphère publique comme privée. Et particulièrement dans un contexte estival. Ainsi, 72 % d'entre elles auraient déjà renoncé à se mettre en maillot de bain, une proportion qui monte à 82 % chez les 16-24 ans.

Des chiffres et des comportements sur lesquels les expert·es ont mis un mot : l'anxiété alimentaire. "L'anxiété alimentaire désigne le fait que l'alimentation devient une préoccupation chronique, excessive du quotidien qui va impacter la santé physique, psychologique, mais ça ne relève pas pour autant d'un TCA (trouble du comportement alimentaire, ndlr) pur et dur. C'est toute cette zone grise entre l'anorexie mentale et un rapport complètement sain à son corps", nous explique Dre Fanny Jacq, psychiatre et directrice santé mentale de Qare.

Elle énumère plus en détails : "Ce sont les personnes qui comptent les calories, font des régimes avant l'été, du yoyo ou du sport pour compenser parce qu'elles estiment avoir trop mangé. Pourtant, l'alimentation, comme la respiration, sont censées être des fonctions naturelles."

Justement, alors que les températures grimpent et les séjours au bord de l'eau se rapprochent, annonçant un dévoilement des corps imminent, ces craintes et angoisses prennent de l'ampleur. Quatre concernées nous racontent comment le fléau s'exprime dans leur vie de tous les jours, et insistent sur l'importance de briser ce tabou nocif.

"Je sais que je vais me sentir mal dans mon bikini si je n'ai pas maigri"

Sara, 22 ans, fait de l'anxiété alimentaire depuis son enfance. "J'ai eu une puberté précoce, les enfants à l'école avec moi n'étaient pas très sympa", se souvient la jeune femme. Depuis, et de manière plus exacerbée dès que le printemps s'installe, "manger [l]'angoisse profondément".

"Dès le mois d'avril, je ne pense plus qu'à la nourriture", poursuit Sara. Elle se demande : "'Qu'est-ce que je peux manger qui est bon mais pas trop gras ?' 'Si je mange cette glace, je devrai sauter le dîner', 'De quoi je vais avoir l'air sur la plage ?' 'Si je fais 30 minutes de sport, je pourrai manger un tacos ce soir !' Tout ça parce que je sais que sur la plage, je vais me sentir mal comme chaque année dans mon bikini si je n'ai pas maigri. Puis les activités que je n'oserais pas faire par peur de casser le siège, d'être refusée pour mon poids."

Une obsession que partage Joséphine, 47 ans. "Très fréquemment, je mange alors que je ne ressens aucune sensation de faim. La nourriture est pour moi une compensation émotionnelle : 'je mange mes émotions' comme on dit car j'ai du mal à les extérioriser. Et si manger me procure un plaisir immédiat, la culpabilité se manifeste immédiatement après."

Culpabilité qui la suit jusque sur la serviette, bien qu'elle n'ait jamais renoncé à se baigner pour cette raison : "j'aime trop la plage et nager", affirme-t-elle. "Mais à chaque fois que je me lève pour aller dans l'eau, j'imagine le regard de mon mari qui se pose sur mes cuisses et mes fesses pleines de cellulite, et je me sens gênée."

L'été, la pression sociale autour du corps augmente

Pour Dre Fanny Jacq comme pour Lora, 22 ans, ces insécurités sont nourries, d'une part, par l'obsession de notre époque pour l'image, et la façon dont les réseaux sociaux n'ont de cesse de la relayer. "Il n'y a plus d'intimité physique", constate la spécialiste, qui déplore les répercussions d'une exposition permanente à l'objectif.

La jeune femme, elle, évoque un climat anxiogène, à son paroxisme lors de la saison chaude. "Lorsque l'été arrive, je me pèse plus qu'il ne le faut, je fais des crises d'angoisse lors des essayages de maillots de bain. Je m'oblige à ne manger que des salades, puis je refais des crises hyperphagiques (épisodes où la personne va consommer une très grande quantité de nourriture en peu de temps, jusqu'à la sensation d'inconfort ou de douleur, ndlr)."

Et d'épingler : "Les réseaux sociaux sont mes pires cauchemars car [dès ce moment de l'année], on nous parle de summer body et les marques font énormément de pub pour leurs maillots de bain avec des jeunes filles fines, avec des petits seins et des petites cuisses. Les gens sont de plus en plus en robes... Mais moi, je ne peux pas m'habiller comme je veux : il n'y a pas ma taille dans tous les magasins."

"C'est à cause des injonctions faites aux femmes depuis leur enfance", analyse Sara. "On nous apprend que pour être belle, il faut faire du 36 et du S ou à la rigueur du 38 et du M si les formes sont au niveau de la poitrine et des fesses. Sans ces injonctions que les femmes entendent et voient depuis leur enfance, il n'y aurait pas un seul type de beauté en France. Le body positivisme est très récent finalement. Encore aujourd'hui, dans les publicités, dans les magazines, à la télé, sur Internet, on ne voit que des femmes minces. Même si ce n'est pas dit, ça apprend aux jeunes filles que pour être belles, célèbre, reconnue, il faut être mince."

A ce sujet, Dre Jacq nuance : "Toute cette notion de body positivisme peut être très bien mais c'est encore une injonction. Si on n'y arrive pas, c'est double peine. A la fois on est mal dans son corps et on est mal dans sa tête car on n'a pas réussi à s'aimer." Alors, quelle est la solution ? Détabouiser urgemment, et parler "vrai", répondent à l'unisson nos interlocutrices.

Mettre des mots sur ce mal-être

"Déjà, la première chose, c'est de savoir qu'on l'a, cette anxiété alimentaire", précise Fanny Jacq. La nommer pour mieux l'adresser, en somme.

La psychiatre appelle également à soigner son corps et le rapport que l'on entretient avec lui. "Cela passe même par la façon dont on en parle. C'est vraiment cette idée de se réconcilier avec sa silhouette, d'etre agréable avec elle, de lui mettre de la crème le soir... De le considérer tel qu'elle est : un vaisseau. Et si ça nous préoccupe de façon trop excessive, il faut pouvoir en parler avec un·e professionnel·le de santé."

Seulement, "peu de médecin considère vraiment l'anxiété alimentaire, aussi", se désole Lena, 23 ans. "Un meilleur suivi serait nécessaire". Pour Joséphine encore, les mesures ne concernent pas seulement le milieu de la santé. Si elle encourage bien sûr à la parole et à l'acceptation de toutes les morphologies en s'éloignant absolument de stéréotypes grossophobes, elle insiste sur le fait qu'il faut également lutter "contre les inégalités sociales, car il est beaucoup plus facile d'être mince et beau quand on gagne bien sa vie."

Et Sara de conclure, en passant un message puissant : "C'est tout un système qui doit se remettre en question et commencer à réellement accepter les femmes telles qu'elles sont. En attendant, je témoigne dans l'espoir que d'autres, qui vivent la même chose, se sentent moins seules."

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