"Il commence à me déshabiller. J'essaye de le repousser, de lui dire que je ne veux pas, mais je n'ai plus de force. À ce moment-là, je me sens comme une poupée, sans vie. Il me viole. Il n'y a pas d'autres mots." Lundi 19 février, le quotidien Libération a dévoilé les témoignages glaçants de 16 anciennes étudiantes, militantes au sein de l'organisation étudiante l'Union nationale des étudiants de France (Unef), entre 2007 et 2015.
L'enquête commence par l'histoire de Laurie, militante de l'Unef. Après avoir eu des relations sexuelles sans lendemain avec l'un des membres du syndicat plus âgé, elle se retrouve seule avec lui, un soir de septembre en 2014. Épuisée, elle refuse ses avances. Celui-ci exige une fellation en compensation. La jeune femme finit par se laisser faire. Et l'homme n'en reste pas là. En juin 2016, il la viole à nouveau. À l'époque, Laurie occulte et se tait. Aujourd'hui, elle dénonce un viol.
Sur la quarantaine de personnes interrogées par les deux journalistes de Libération, Laure Bretton et Ismaël Halissat, une vingtaine ont rapporté des cas de sexisme, de harcèlement sexuel mais aussi d'agressions sexuelles et de viols. Pour Marion Oderda, ancienne responsable nationale, ces révélations n'ont malheureusement rien de surprenant. D'après la militante, l'organisation de ce syndicat se résumait à cette phrase : "Les hommes pensent, les femmes organisent".
Le syndicat étudiant, que l'article de Libération qualifie de "terrain de chasse sexuelle", présentait donc un milieu fortement empreint de machisme et de sexisme. Confrontées à la toute-puissance de cette domination masculine, les jeunes femmes se retrouvaient de surcroît souvent réduites au silence. "On nous apprenait à nous blinder, la force était valorisée et permettait de progresser dans le syndicat, parler aurait été un aveu de faiblesse", explique Florine Tillié, ancienne présidente de l'Unef Champagne-Ardenne.
Cette nouvelle enquête fait écho à la tribune dans Le Monde, signée en novembre dernier par 83 anciennes syndicalistes de l'Unef, dans laquelle elles dénonçaient les violences sexuelles et sexistes au sein du syndicat étudiant politiquement positionné à gauche. "J'apporte tout mon soutien aux femmes qui dénoncent les violences qu'elles ont subies au sein de l'organisation", a déclaré l'actuelle présidente de l'Unef Lilâ Le Bas.
Avant 2013, année qui marque l'adoption du vote d'une "motion féministe" au sein de l'Unef, les actes des anciens présidents restaient largement sans conséquence. C'est notamment le cas de Jean-Baptiste Prévost, président de l'Unef entre 2007 et 2011, et d'un certain "A", arrivé à l'Unef dans les années 2000. Les témoignages recueillis dans le cadre de l'enquête de Libération ont permis de reconstituer au moins six actes pénalement répréhensibles commis par "A". Parmi ces témoignages, celui de Laurence qui n'avait jusqu'ici jamais osé parler. Un soir, en décembre 2007, elle assiste à une fête organisée par des militants de l'Unef et rate son dernier métro. Elle se voit alors prêter une chambre, dans laquelle "A" ne tarde pas à la rejoindre.
"Au bout d'un moment, j'ai senti quelque chose de dur contre mes fesses. Je suis paniquée : je ne voulais aucune relation avant le mariage. Je dis non, je lui demande d'arrêter", raconte l'ancienne militante. "Et il me dit dans l'oreille : 'si tu veux rester vierge, tu peux me sucer, ou je te prends par derrière", rajoute-elle. Une autre militante, Sophie, a subi elle aussi une agression sexuelle de la part de "A". Celle-ci a raconté ce qui lui était arrivé à la direction mais a obtenu pour toute réponse un "on va l'avoir à l'oeil". Puis rien. Aucune sanction. L'ex-présidente de l'Unef à l'université Paris-XIII Elodie Le Moigne confirme : "À chaque coup, on me répondait : "T'as des preuves de ce que tu avances ? Tu ne peux pas dire ça, c'est le président".
Depuis son arrivée à l'Unef en 2016, Lilâ le Bas entend changer les choses : elle affirme à l'AFP que l'Unef a mis de nombreux outils en place afin de lutter contre ces violences faites aux femmes. "Une pléiade de schémas sexistes ont été déconstruits par nos outils, ils permettent aujourd'hui aux femmes de parler sans avoir peur de nuire à l'image de l'organisation", assure-t-elle. Elle cite notamment les réunions non-mixtes exclusivement réservées aux militantes, ainsi que des ateliers sur le consentement.
Le cas de l'Unef n'est pas isolé : en novembre dernier, huit femmes ont accusé l'ancien président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), Thierry Marchal-Beck, de harcèlement et d'agressions sexuelles entre 2010 et 2014. L'article avait été écrit par Laure Bretton et publié dans les colonnes de Libération.