C'était le 22 avril 2014. A l'époque, Emily Spanton, touriste canadienne, passait la soirée dans un bar irlandais en face du 36 quai des Orfèvres. Elle y avait fait la rencontre de plusieurs policiers de la BRI (brigade de recherche et d'intervention) qui, alors qu'elle était très alcoolisée, lui avaient proposé de visiter leurs locaux. "Elle en ressort en état de choc, en dénonçant un viol en réunion", rapporte Le Monde.
Huit ans plus tard, et ce 3 ans après leur condamnation en première instance à Paris de 7 ans de prison, la Cour d'assises du Val-de-Marne a décidé d'acquitter les accusés, Antoine Quirin, 43 ans, et Nicolas Redouane, 52 ans. Ils ont été déclarés innocents et sont ressortis libres du palais de justice de Créteil, sous les applaudissements de la salle où de nombreux policiers étaient venus les soutenir. La jeune femme, elle, est partie en larmes à l'annonce du verdict.
Lors de l'audience, l'angle d'attaque des avocats des deux accusés était de contester la "crédibilité" de la plaignante, en pointant notamment le fait qu'elle ait "été diagnostiquée 'borderline' par un expert, ça veut dire qu'elle est d'humeur changeante", avait argué l'avocat de Nicolas Redouane, Me Pascal Garbarini, précise Le Monde. "Ce n'est bien sûr pas parce qu'elle a eu des relations multiples et variées en arrivant à Paris qu'elle n'a pas pu être violée. Mais pourquoi les nier ?"
Et l'avocate d'Antoine Quirin d'ajouter qu'au moment des faits supposés, Emily Spanton était "une femme malade, en dépression, qui prenait des médicaments tous les jours". La Cour d'assises s'est quant à elle "interrogée sur la fiabilité du témoignage de la partie civile, en se basant notamment sur des inexactitudes, des imprécisions et plusieurs mensonges", relaie Franceinfo.
L'un des autres arguments de la défense : insister sur sa vie sexuelle, et préciser qu'elle "avait fait des préliminaires avec un touriste américain à Paris quelques jours avant les faits", relève encore Le Monde.
"Elle a une sexualité mature et libre", a rétorqué Me Sophie Obadia, l'avocate d'Emily Spanton. "[Son histoire] est l'archétype du parcours de la combattante d'une victime de viol : elle a dû inventer des petits mensonges pour être crue. Mais elle n'est pas folle, ce n'est pas une affabulatrice", a-t-elle plaidé avant de conclure : "Je dis comme avocate qu'on n'a pas à aller travailler à ce point la vie intime d'une plaignante", espérant "rendre à Emily Spanton sa dignité de femme".
"Est-ce que ces rapprochements au pub, initiés par les accusés, signifient qu'elle serait d'accord pour monter au '36' pour avoir des rapports sexuels ? Parce qu'une femme a une jupe courte ou des shorts, elle voudrait forcément avoir des rapports sexuels ?", s'est de son côté indigné l'avocat général, dénonçant des idées "d'une autre époque".
Des arguments qui n'auront pas suffi à faire pencher la décision du tribunal en sa faveur.
Sur les réseaux sociaux et dans les milieux militants, l'heure est à la colère légitime.
"On peut [donc] abuser sexuellement d'une jeune femme incontestablement saoule, à plusieurs, lui redonner de l'alcool, [dans] les locaux de la BRI, et être applaudis comme des artistes dans un tribunal de la République après avoir été acquittés et devant la victime", a tweeté, écoeurée, la journaliste Hapsatou Sy. "C'est une injustice pour Emily la victime qui s'est battu pendant 8 ans de sa vie, qui voit sa vie détruite et sa réputation jetée en pâture depuis", commente à son tour l'actrice Sand Van Roy, qui a accusé le réalisateur Luc Besson de viol.
Pour Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes, "ce verdict est scandaleux quand on connaît l'affaire et le nombre de preuves et de mensonges des accusés !" Elle assène : "Comment voulez-vous que les femmes continuent à faire confiance à cette justice ?" On rappelle qu'en France, seulement 1 % des plaintes pour viol aboutit à une condamnation.
Aujourd'hui, Me Obadia, conseil d'Emily Spanton, envisage le pourvoi en cassation.