"La hausse des violences conjugales durant le confinement n'est pas un risque, c'est une évidence". Des semaines après la fin du confinement national, ces mots percutants de Caroline de Haas, instigatrice du collectif féministe Nous Toutes, résonnent encore à nos oreilles. Car à l'heure du déconfinement, la santé et la sécurité des femmes n'en restent pas moins primordiales. Mais comment faire pour aider ces anonymes ?
On peut par exemple contacter les victimes de violences pour s'assurer de leur situation, et ce par le biais de moyens discrets, comme certaines applications (App-Elles par exemple) ou des services de discussion instantanée intégrées aux jeux mobile et à de nombreuses autres plateformes. Mais par-delà ces solutions, comment leur permettre de quitter leur domicile quand l'emprise financière fait office de frein ?
En parallèle de l'accès aux centres d'hébergement, un décret officialisé le 6 juin dernier vient apporter quelques éléments de réponse concrets à cette question en proposant aux victimes l'accès à son épargne salariale, débloquée par anticipation. De quoi permettre un "déménagement" dans l'urgence sans se confronter à une précarité économique déstabilisante. L'espoir d'une certaine autonomie.
Néanmoins, on retiendra quelques conditions sine qua non à cette épargne : il faut que la conjointe ait pu obtenir une ordonnance de protection émanant du juge, ou bien que l'agresseur fasse l'objet d'une information judiciaire, d'une mise en examen, d'une condamnation. Autre condition, cruciale : la conjointe victime de violences doit être salariée.
Et c'est là que le bas blesse. Car ces conditions sont loin d'être anecdotiques. Comme le rappelle effectivement le magazine Marie Claire, seules 51% des femmes victimes de violences conjugales en France auraient un emploi à l'heure actuelle. Et si plutôt que de garantir une certaine indépendance financière, ce décret ne faisait qu'exacerber l'exact inverse ? Aujourd'hui, l'interrogation se pose du côté des associations féministes. Et fait réagir Françoise Brié, la directrice générale et porte-parole de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF). "La précarité est un facteur aggravant pour sortir de la violence", déplore l'experte du côté de l'AFP.
Cette exclusion des femmes non-salariées n'a rien de réjouissant. D'autant plus qu'à ce facteur professionnel, s'ajoute encore le dossier judiciaire lui aussi nécessaire pour permettre ce déblocage. Or, que faire des situations qui n'ont engendré aucune saisie, condamnation ou information conséquente de la part d'un tribunal ? Des exigences qui réduisent considérablement l'accès à cette aide. Rappelons soit dit en passant que l'an dernier, 80% des plaintes pour violences conjugales ont été classées sans suite. Un chiffre accablant.
"La chaîne pénale n'est pas satisfaisante", avait même dû admettre la ministre de la Justice Nicole Belloubet. L'application du décret du 6 juin - une initiative énoncée dès les premiers mois du Grenelle des violences conjugales - souffrira-t-elle de ces insuffisances ? "Le confinement a rebattu les cartes, nous devons nous réinventer et faire des propositions qui prennent en compte la crise que nous venons de traverser", a déclaré la secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes Marlène Schiappa. Doit-on dès lors attendre des mesures plus adaptées aux femmes précaires ou au chômage ?
En écho à cette perplexité globale, Françoise Brié maintient cependant des propos plus modérés, et l'admet à l'AFP : "[Cette mesure] est toujours bonne à prendre pour celles qui peuvent en bénéficier".