Caroline Michel : En fait, l'envie première n'était pas d'écrire sur une mère célibataire, je souhaitais avant tout écrire sur le désir de grossesse. Ma maman est sage-femme, alors peut-être que le fait d'avoir baigné dedans toute mon enfance m'y a un peu incité, je ne sais pas... L'idée de devenir maman solo en tout cas est née à travers des discussions avec des copines trentenaires, célibataires mais ayant toujours désiré avoir un enfant et fonder une famille. Et, sans avoir un désir de grossesse très bruyant, elle se disent : "J'ai trente ans, j'ai pas d'homme et le temps passe, je ne vais pas forcément rencontrer quelqu'un demain, j'aurais peut-être une envie d'enfant un peu plus accrue dans quelques années et finalement comment je vais faire ? Comment je vais faire face à ce schéma qui m'a toujours fait rêver ?" Beaucoup pensent à ça déjà toutes gamines, imaginant trouver un homme à 20 ou 25 ans, le présenter aux parents, emménager avec lui jusqu'à ce qu'un matin, il nous lance : "J'ai envie qu'on fasse un enfant". Et finalement, on se rend compte, en vieillissant, que ça ne va pas forcément se passer comme ça, qu'il va manquer une pièce au puzzle et on se demande comment faire pour assouvir ce désir de fonder une famille, de porter et d'élever un enfant. C'est ainsi que je suis entrée dans la peau de Jeanne, cette trentenaire qui avait tout avant de se retrouver soudainement sans amoureux et qui va devoir composer avec cette nouvelle vie et son désir d'enfant.
C. M : Non, pas du tout. En fait, je suis un peu l'inverse de Jeanne. J'ai l'homme, mais pour l'instant je n'ai pas forcément un désir d'enfant très prononcé. Ceci dit, même sans que ce soit mon histoire, c'est aussi une question que je me pose : "Si demain, tout s'arrête, que j'ai envie d'un enfant et que j'ai 33 ou 34 ans, qu'est-ce que je fais ?" Une question qu'on ne se pose pas forcément lorsqu'on a un homme qui partage notre vie. C'est un peu ce que dit Jeanne au début, quand ça se passe bien avec Julian, elle a envie d'enfant mais ne se sent pas pressée puisque tout est à disposition. Sauf que quand l'homme n'est plus là...
C. M : Ce n'est pas du tout un bouquin militant pour défendre le fait de faire un bébé toute seule, mais je suis assez partagée sur la question. C'est pour cela d'ailleurs que j'ai créé plein de personnages aux avis très différents et derrière lesquels j'ai pu me cacher. Il y a des jours où en écrivant, je me disais "Jeanne est folle, elle fait n'importe quoi. Elle va galérer, être fatiguée et puis le bébé a besoin d'un papa". Et dans ces cas-là, je me cachais un peu derrière le personnage d'Alice. Et le lendemain, je songeais : "Mais elle a tout à fait raison, elle ne va tout de même pas attendre qu'un homme arrive dans sa vie et d'ailleurs, pourquoi ne serait-elle pas en mesure de se débrouiller toute seule ?", et là, c'est à travers le personnage d'Eléonore que je m'exprimais.
En fait, mon avis n'est pas très prononcé mais j'imagine que si un jour, je me retrouvais à la place de Jeanne, je me dirais certainement qu'elle a tout à fait raison et que lorsque l'on a envie d'un enfant, il faut pouvoir s'en donner les moyens.
C. M : Si bien sûr, d'autant que, personnellement, j'ai le sentiment que toute seule, je n'y arriverais pas et que l'équilibre familial implique la présence paternelle. Je trouve aussi la relation "père-enfant" très touchante. D'ailleurs dans mes remerciements, je fais une petite dédicace à mon père qui m'a donné envie d'offrir un papa à mes futurs enfants. Pour autant, lorsque le désir d'enfant vous submerge et que l'horloge biologique tourne, je peux comprendre que l'on soit prête à faire sans le papa. En effet, le temps de rencontrer quelqu'un, de s'installer ensemble puis de faire un enfant, ça prend du temps.
C. M : C'est évidemment une fiction et non un guide pratique. Mais c'est aussi une photographie de ce qu'il peut se passer dans la vie des femmes d'aujourd'hui, de montrer à quel point on est capable d'aller loin pour assouvir cette envie d'enfant. J'avais une copine qui avait adopté ce chemin-là pour tomber enceinte et elle prenait en effet des risques inconsidérés. C'est d'ailleurs ce que je dis à travers Jeanne, qu'en jouant avec la vie, on joue aussi avec la mort. Le pas de trop qu'elle va justement finir par franchir parce qu'elle est obsédée, qu'il lui reste peu de temps et que pour mettre toutes les chances de son côté, elle est prête à prendre d'énormes risques. Mais attention, je ne dis pas qu'il faut faire comme elle, ni que c'est la bonne solution.
C. M : En effet, sans doute que le désir de grossesse de Jeanne vient d'un besoin viscéral mais il vient peut-être aussi d'une pression sociétale qui voudrait qu'à 30 ans, on soit déjà maman, ou du moins qu'on l'envisage. Un schéma qu'on nous inculque depuis notre plus jeune âge. Très cliché sans doute, mais que beaucoup de femmes, y compris Jeanne et moi, rêvons de réaliser en devenant adultes. Est-ce que c'est dû aussi à sa rupture avec Julian et qu'elle essaie de combler un vide ? On peut trouver de multiples raisons à l'envie de grossesse de Jeanne.
C. M : Jeanne y pense. Elle songe même à demander à un ami. D'ailleurs, quand j'ai créé le personnage de Nicolas, je ne savais jamais en écrivant si Jeanne allait oser lui demander. Au final, elle ne le fait pas. Quant à l'insémination artificielle, même si c'est une solution qui est médicalement propre, il faut se rendre à l'étranger, en Espagne par exemple, c'est laborieux, coûteux et ça nécessite des déplacements. Evidemment, coucher avec un inconnu peut engendrer des risques de MST, etc. Donc finalement, il y a de multiples façons de faire mais aucune n'est forcément évidente.
C. M : L'adoption, c'est très compliqué. Ce sont des procédures longues, coûteuses et en plus lorsque l'on est mère seule, c'est un obstacle supplémentaire. J'avais une copine qui avait essayé d'adopter en étant célibataire et c'était vraiment un parcours du combattant, elle a tout de suite baissé les bras.
C. M : C'est vrai qu'elle y pense, comme on peut le découvrir dans le roman, mais lorsque l'on lui propose, elle a l'impression qu'accepter reviendrait à repousser son projet à plus tard et, elle veut qu'il se réalise maintenant. Mais effectivement, le médecin lui suggère les deux solutions et congeler ses ovocytes ne l'empêcherait pas de continuer ce qu'elle a commencé. En fait, là où le docteur lui propose un "et", Jeanne entend un "ou", comme si c'était soit maintenant, soit plus tard.
C. M : Il n'y a pas de statistiques précises, mais on découvre à la télé ou à la radio qu'il y a de plus en plus de Françaises qui vont se faire inséminer à l'étranger. Alors, autant rendre l'assistance médicale à la procréation accessible à toutes, en France, et cesser de fermer les yeux sur un besoin qui de toute façon est réel et que les femmes courent réaliser à l'étranger. Faire un enfant est la chose la plus naturelle au monde, pourtant, beaucoup d'entre nous doivent franchir des milliers de barrières pour pouvoir tomber enceinte.
C. M : Même s'il y en a de plus en plus, à partir de 40 ans, les grossesses ont plus de chances de subir des complications. Et puis, plus on le fait tard, moins on a de chance d'en avoir plusieurs – à moins d'avoir des jumeaux puisque les chances de grossesse gémellaire accroissent avec l'âge (rires) – alors en s'y prenant à 33 ans, Jeanne peut espérer avoir cinq enfants si elle le souhaite.
"89 mois" de Caroline Michel, éditions Préludes, 14,90 euros.