Ce 11 janvier, le compte Instagram de l'actrice Sarah Jessica Parker enregistrait un trafic inhabituel. Des visionnages par millions d'une vidéo publiée le jour-même. Dessus, des images d'un New York bouillonnant capturées pré-Covid et ponctuées de quelques mots énigmatiques tapés à l'ordinateur. "And just like that... The story continues...". Deux phrases, et beaucoup trop de points suspensions, qui ne signifient qu'une chose : Sex and The City, c'est reparti.
Dans un communiqué de la chaîne HBOMax, chargée de la diffusion de la suite de la série créée par Darren Star, on a par la suite appris que le tournage du séquel baptisé And Just Like That... débuterait dès la fin du printemps prochain pour, on imagine, une sortie courant 2022 sur nos écrans. Une annonce qui a provoqué un sentiment d'excitation palpable et justifié chez des générations de spectatrices addicts aux bons mots et péripéties des quatre amies. Et qui, pour les autres, mérite une petite mise en contexte.
Sex and the City, c'est l'histoire de Carrie Bradshaw (Sarah Jessica Parker), la chroniqueuse accro aux chaussures et aux pervers narcissiques la mieux payée de l'histoire du journalisme. De Miranda Hobbes (Cynthia Nixon), l'avocate rationnelle qui a commis l'affront de déménager à Brooklyn. De Samantha Jones (Kim Cattrall), l'attachée de presse qui privilégie son plaisir et balaie les jugements. Et de Charlotte York (Kristin Davis), fervente défenseuse des contes de fées et très certainement la moins égocentrique de la bande.
Pendant six saisons brillantes et deux longs-métrages discutables mais forcément vus plus que de raison, le quatuor de trentenaires a parcouru les rues de Manhattan en quête d'amour, de sexe ou des deux, se racontant ses (més)aventures autour d'une part de pizza à 1 dollar arrosée d'un désormais emblématique Cosmopolitan.
Vêtues de leurs plus beaux ensembles Gucci, Chanel, Dolce & Gabbana, les protagonistes ont clamé leur indépendance, se sont relevées de ruptures douloureuses et ont expérimenté toute sorte de rituels sexuels. Elles ont libéré la parole autour du cul, transformé les tabous en discussions savoureuses entre copines, et encouragé leurs fans à faire de même à la maison. Un succès qui en a convaincu plus d'un·e.
Par bien des aspects, Sex and the City a révolutionné la télé de la fin du siècle dernier, inspiré des âmes en peine et émancipé des tonnes de personnes à la recherche d'un peu de légèreté moins futile qu'il n'y paraît, et d'une représentation de la femme active à la personnalité complexe. Normal, donc, qu'on s'enthousiasme à l'idée de retrouver l'ambiance si particulière et familière d'un show unique en son genre.
Seulement, ce retour inespéré a aussi éveillé quelques craintes chez ses adeptes les plus hardcore (nous). Peur de ne pas s'y retrouver, d'être déçu·e par des dialogues moins efficaces, des tropes trop clichés et attendus, voire inquiétude d'assister à la renaissance - puis au crash - d'un monument qui n'aurait pas su apprendre avec son temps.
Après réflexion, on se dit que cette septième saison n'est peut-être pas une si bonne idée, finalement. Voici pourquoi.
Kim Cattrall n'en a pas démordu. En 2018, alors que les rumeurs concernant un troisième volet au ciné enflammaient le web et notre petit coeur de fan avec, l'actrice déclarait refuser catégoriquement de participer à une quelconque suite. En cause, les mauvaises relations entretenues avec la productrice et interprète principale Sarah Jessica Parker, que celle-ci dément. Scandale. Trois ans plus tard, c'est scellé : And Just Like That... se fera sans Samantha Jones.
Pas de blonde incendiaire au culot légendaire. Pas de petites phrases bien senties qui décoincent l'assemblée. Pas de piques pour remettre à sa place l'insupportable Carrie. Pas d'uppercut verbal décoché au menton du moindre macho qui doute de ses compétences. Moins, on l'imagine, de focus sur l'importance de se faire du bien avec les mains, un sextoy, ou tout autre appareil ménager aux fonctions vibratoires.
Sex and the City sans Samantha Jones, c'est comme un pâté sans croute, des moules sans frites, un jambon-beurre sans beurre. Ça manque de croquant, de texture, de saveur. Et ça a un goût de pas assez.
Le créateur original de la série reprend les manettes du scénario, aux côtés de Michael Patrick King, SJP et désormais Cynthia Nixon et Kristin Davis à la production. Rassurant, pourrait-on se dire, de voir que l'affaire ne tombe pas entre des mains inexpertes. C'était sans compter sur un événement récent qui a de quoi faire trembler nos certitudes : Emily in Paris.
Peu importe l'avis qu'on se fait sur le navet made in Netflix, difficile de comparer l'incomparable. A part un penchant pour des mecs inaccessibles et un logement irréaliste par rapport au boulot de l'héroïne, les deux oeuvres ne jouent pas vraiment dans la même catégorie. D'un côté novatrice (pour l'époque) et franchement drôle, de l'autre stéréotypée et mielleuse (pour ne pas dire irritable), on craint que ça n'aille pas en s'arrangeant.
Avant ça, le producteur avait sorti la série Younger, moins niaise et plus réjouissante, mais pas tout à fait au niveau. Un indice que sa pertinence prend l'eau ?
On ne spoilera personne en disant que Carrie ne vit que pour Mister Big (Chris Noth), alias John James Preston, alias le businessman ténébreux qui la mène en bateau pendant dix ans, ne veut d'elle que quand elle est casée et finit par la planter devant l'autel. Le bougre ne sera même pas foutu de lui prouver son amour autrement qu'en RECOPIANT des lettres déjà écrites par d'autres hommes pour la plupart tout aussi toxiques (Napoléon en tête de liste), et conclure par un piètre "Je sais que j'ai merdé -- mais je t'aimerai toujours". *Pouce en l'air*
Quelques petits mots lamentables qui ne sont pas sans rappeler la prose d'un des prétendants précédents de la protagoniste, Jack Berger, et son post-it de rupture mémorable. "I'm sorry, I can't -- Don't hate me" est depuis devenu un mème, un costume d'Halloween, une référence culturelle aussi fédératrice qu'une réplique du Parrain.
Tout ça pour dire que Sex and the City, aussi féministe soit-elle, a contribué à placer sur un piédestal tout un tas de pervers narcissiques et autres possessifs notoires (Aidan et son désir de mariage qui vire à l'obsession), qu'on a du mal, aussi féministe soit-on, à ne pas nous aussi ériger en modèle. I couldn't help but wonder... A-t-on vraiment besoin de cinq heures de plus à fantasmer sur des raclures déguisées en hommes compliqués qu'il faudrait apprivoiser ?
On le disait plus haut, à sa sortie en 1998, la série apparaît comme un vent de fraîcheur révolutionnaire, présentant la femme sous des coutures nettement moins lisses et convenues que ce à quoi le public avait été habitué. Ou plutôt, DES femmes. Des héroïnes aux caractères et ambitions variés, qui mènent de front carrière et relations, laissent tomber l'une pour l'autre, changent d'avis, jouissent seules ou à plusieurs, voire ne jouissent pas toujours, d'ailleurs. Un véritable coup de pied dans un paysage audiovisuel peu ouvert.
Vingt ans plus tard, ces archétypes semblent pourtant limités. Carrie, Charlotte, Miranda et Samantha sont toutes les quatre blanches, cisgenres, hétérosexuelles, de milieu socio-économique très aisé, et certaines de leurs réactions sont problématiques (on pense aux réflexions homophobes et biphobes de Carrie, ou encore au penchant "colorblind" de Samantha, récemment contrés par le compte Every Outfit on SaTC, qui prête à Charlotte des positions "woke" acclamées).
A ce titre, un article de Slate analyse : "Puisque [Sex and the City] est pionnière sur de nombreux sujets, on voudrait qu'elle soit absolument parfaite aussi sur tous les autres", signent les journalistes. Ce à quoi la professeure à l'université catholique de Louvain Sarah Sepulchre, interrogée par leurs soins, rappelle qu'"elle ne pouvait pas tout faire". Et c'est certain.
Aujourd'hui en revanche, reproduire et insister sur ce schéma usé jusqu'à la corde a des chances de faire oublier son but premier, et créer tout l'inverse : un show qui risque, parce que n'abordant qu'un point de vue ultra-privilégié, de ne plus parler à grand monde.
Par ses nombreuses qualités, l'oeuvre mérite sans conteste sa place dans les annales. Mais peut-être devrait-elle y rester, justement. Avec ses failles et ses prouesses, continuer d'incarner un repère réconfortant que les films dérivés ont, bien heureusement, réussi à ne pas érafler. Et non se remettre en selle, au péril de laisser un goût amer à ses supportrices les plus fidèles.
Alors bien sûr, on n'est pas à l'abri d'un miracle. De découvrir d'ici un an ou deux un petit bijou au scénario travaillé et bien dans son époque, comme il en existe peu dans le genre reboot de succès télévisuel planétaire. Peut-être aussi que ces personnages pleins de défauts qu'on adore (à part Carrie, ne poussons pas) réussiront le pari fou de raviver l'âme inimitable d'une série culte sans basculer dans les erreurs du passé.
A grand coup de répliques mordantes sur le cul post-ménopause, par exemple. Ou de répartie finement menée face à l'âgisme dont souffrent quinquas et au-delà. Ou encore, en épinglant Donald Trump, qui avait fait une apparition remarquée dans la saison 2, quand feue Samantha Jones se laissait tenter par le sexe avec un septuagénaire (pas Trump, pour le coup). L'espoir fait vivre.
En attendant, on l'avoue sans peine : on va de toutes façons binge-watcher l'intégralité des dix épisodes d'une demi heure, avec un plaisir (coupable) certain et sans aucune forme de résistance. Rien que pour voir si on avait raison, et se plaindre - probablement ici - si tel est le cas. Ou pas. Quoiqu'il en soit, comme l'écrit Bradshaw, the story continues... Reste à voir dans quel sens.