Les faits se sont déroulés la nuit du 4 au 5 février, dans le Quartier latin à Paris, raconte Elodie (dont le prénom a été modifié), auprès de Mediapart. Alors qu'elle sort d'un bar avec une amie, elle marche à reculons et dans son dos, croise un autre groupe. Là, elle "sen[t] des doigts caresser [sa] vulve d'avant en arrière", précise-t-elle à la police.
Sa première réaction est "de faire une blague" : "Je bondis et je plaisante avec les amis en leur disant qu'il m'a mis un doigt dans le cul", confie-t-elle aux autorités. Mais quelques secondes après, elle réalise que ce n'est "pas normal" et "le ton monte avec le petit groupe", décrit à son tour le média. Elodie décide d'appeler les forces de l'ordre. "Je ne veux plus du tout me laisser faire", explique celle dont l'ex a écopé de 6 mois de prison avec sursis pour violences conjugales sur sa personne. "Alors, cette nuit-là, j'ai commencé par blaguer. Puis je me suis dit que ce n'était pas OK."
Au commissariat des 5e et 6e arrondissements, le fonctionnaire qui la reçoit l'écoute, insiste sur le fait que "cette plainte est importante". Elle note toutefois que les faits ne sont pas toujours clairement décrits sur le procès-verbal, et une question fait tiquer : "Pouvez-vous me décrire votre tenue vestimentaire ?". Quelques heures plus tard, c'est à cause d'un autre policier que tout bascule.
A 13h42, le lendemain de l'agression sexuelle présumée, Elodie est partie de l'établissement depuis quelques heures lorsqu'elle reçoit un appel en numéro masqué, puis un message vocal. C'est un fonctionnaire du commissariat à qui elle n'avait pas eu affaire, qui lui demande de le recontacter pour la "réentendre sur les faits", quelques heures seulement après sa plainte. L'enregistrement aurait dû s'arrêter là, mais le combiné est mal raccroché.
Elodie entend l'homme évoquer son cas avec une collègue : "Je la rappellerai de toute façon parce que là, elle doit être en train de cuver !" Et d'ajouter plusieurs fois : "C'est tellement pas compréhensible. Elle n'a pas de sens, la plainte, en fait".
Il relit la déposition d'Elodie, et lâche : "Ah, évidemment, elle refuse la confrontation. C'est vraiment une pute. Comme par hasard. Putain, elle refuse la confront' en plus, la pute. Comme par hasard. En fait c'était juste pour lui casser les couilles, je suis sûr. C'est aberrant. Ouais, je sais pas, moi [mot incompréhensible], il lui arrive un truc comme ça, déjà elle fout une mandale au mec, et après elle va vouloir une confrontation histoire de lui péter la gueule encore plus sur l'audition... Putain, grosse pute."
La jeune femme signale le message vocal sur le site de l'IGPN et retourne au commissariat. Sur place, elle alerte une policière et le responsable du week-end en leur faisant écouter les mots de leur collègue. La première est "estomaquée", le deuxième affirme qu'il reconnaît les voix, et qu'il fera remonter à sa hiérarchie. Depuis, le préfet de police de Paris Didier Lallement a annoncé "la suspension à titre conservatoire du fonctionnaire", et "condamne fermement les propos inadmissibles tenus par un fonctionnaire de police à l'égard d'une victime d'agression sexuelle dont il a pris connaissance".
Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a lui aussi réagi ce mercredi 16 février au micro d'Europe 1 : "Ce policier a non seulement sali toutes les femmes qui essaient de déposer plainte [...] Mais il a sali, il a craché sur l'uniforme de la République de ses 250 000 autres collègues policiers et gendarmes qui font un travail formidable", a-t-il souligné, rappelant les 400 000 interventions annuelles contre les violences conjugales et sexuelles. "Je pense que ce monsieur n'a plus sa place dans la police nationale."
Pour l'association féministe #NousToutes, "il ne s'agit pas là de défaillances dans la prise en charge des victimes", mais d'une "mise en danger" de celles qui viennent porter plainte.
"En mars 2021, notre enquête #Prendsmaplainte rendait compte de cette réalité : 66 % des répondantes (sur les 3500 témoignages reçus) ont fait état d'une mauvaise prise en charge par les forces de l'ordre lorsqu'elles ont voulu porter plainte pour des faits de violences sexuelles. Dans près de 30% des cas, les victimes affirment avoir subi 'des moqueries, du sexisme ou des propos discriminants'. Parfois, elles évoquent des officiers faisant preuve de solidarité avec le mis en cause (plus de 26 %)."
Des chiffres glaçant qui n'ont suscité "aucune" réaction du gouvernement, fait remarquer le collectif dans un communiqué.
Ou si, une. Celle de Gérald Darmanin qui affirmait sans ciller sur France Inter que "les femmes qui sont psychologiquement ou physiquement atteintes par leur compagnon déposent plainte systématiquement, [et que] systématiquement il y a désormais des gardes à vue, systématiquement il y a des poursuites judiciaires". "Un mensonge !", s'indigne #NousToutes.
Et l'association d'interpeller : "Comment les victimes de violences sexistes et sexuelles pourraient-elles avoir confiance dans la police ? Comment penser qu'un officier tenant de tels propos ou ayant été condamné pour violences conjugales, puisse mener à bien des enquêtes pour violences sexistes et sexuelles ?"
Devant l'ampleur médiatique qu'a pris l'affaire, Elodie estime qu'elle l'a rendue publique car elle ne pouvait pas "le garder pour [elle]". "Je suis féministe, je le fais pour toutes les femmes qui n'ont pas la chance de pouvoir le faire. Ce n'est pas que mon affaire, ce n'est pas personnel". Et malheureusement, elle a raison.