Pendant le ramadan, à la télévision algérienne, les caméras cachées vont bon train. Malheureusement, chaque année vient avec son lot de controverse, rapporte El Watan, média indépendant local. En 2017, EnnaharTV, chaîne proche du gouvernement, avait diffusé une émission dans laquelle l'écrivain Rachid Boudjedra, communiste et athée, se voyait sommé de renier son athéisme et de se déclarer musulman. Des images d'une rare violence qui, même après la révélation du canular et les excuses du patron de la chaîne, ne passaient ni auprès de l'auteur de La Répudiation, ni auprès des réseaux sociaux.
Deux ans auparavant, à la même époque, l'international algérien Madjid Bougherra avait été victime d'une autre "blague" de très mauvais goût : la chaîne conservatrice Echourouk avait simulé un kidnapping par des "terroristes", qui s'était terminé dans le désert pour une fausse exécution entre les cris et les pleurs. Inutile de préciser qu'à l'annonce de la caméra cachée, le joueur de foot avait du mal à afficher un sourire franc.
Et côté séquences révoltantes, 2020 n'est pas en reste.
Le 23 avril, premier jour du ramadan, c'est un tout autre thème qui a été abordé par Ana w'radjli (Mon époux et moi), canular instigué par la chaîne privée Numidia TV : le mariage. Ou plutôt, la disposition des femmes comme si elles étaient de simples marchandises. Ajoutez à cela une moquerie vicieuse d'un homme qui n'a rien demandé, et vous obtenez le programme qui a indigné les Algérien·ne·s. "Le principe : une émission de télévision parodique qui proposerait rien de moins que d''offrir' une femme en 'cadeau' à un célibataire qui se retrouve malgré lui dans la peau d'un prétendant", écrit le média El Watan, non sans critique.
Après quelques questions sur ce qu'il aimerait trouver chez sa potentielle épouse, l'animateur demande à Sofiane, 39 ans, si une femme indépendante, avec un travail, un logement et bonne situation, lui plairait. La "victime" répond par l'affirmative, et son interlocuteur de demander à son complice : "Qu'est-ce qu'on a comme cadeaux ? Envoie-moi le cadeau qui reste."
Arrive alors une jeune femme qui s'assoit à côté de l'invité, perplexe. "C'est ça ton cadeau", renchérit l'animateur. "Tu m'as dit que tu souhaitais avoir une femme avec une bonne situation, qui travaille, et qui possède un logement. La voilà !" L'actrice acquiesce quand il lui demande si son futur "mari" est à son goût, et le sketch continue : "Ramène l'imam et apporte l'alliance", lance le maître des lieux en direction des coulisses.
Devant l'incompréhension de Sofiane, l'animateur le presse : "Si elle ne te plaît pas, je te la change. Regarde encore, si elle ne te plaît pas, j'en ai une autre". Et par "une", il désigne bien la prétendue candidate "comme s'il parlait d'une vulgaire marchandise", dénonce El Watan. Enfin, la caméra cachée est révélée, au soulagement des télespectateur·ice·s qui n'ont pas hésité à exprimer leur mécontentement.
"Cette 'caméra cachée' est un scandale", s'est indigné Fayçal Métaoui, journaliste, sur Facebook. "On invite un homme, on se moque de lui avec des questions stupides, puis on lui présente 'un cadeau'. Et c'est quoi le 'cadeau'? Une femme ! On revient aux siècles de barbarie. Arrêtez ces stupidités".
Une pétition a été lancée pour solliciter l'Autorité de régulation de l'audiovisuel (ARAV) : "Nous signataires, (le) considérons comme humiliant et scandaleux car ce programme traite les femmes algériennes comme vulgaire objet de récompense dans une caméra cachée. Nous dénonçons également l'humiliation et l'atteinte à la dignité de l'homme ayant été piégé dans ce premier épisode." Aujourd'hui fermée, elle a rapidement dépassée les 8000 signatures requises.
Dimanche 26 avril, l'ARAV a adressé un avertissement à la chaîne Numidia TV, soulignant de "flagrantes infractions ayant entamé l'éthique professionnelle et attenté à l'ordre public, à la vie privée, à l'honneur et à la réputation des personnes loin de tout respect de la dignité humaine". A son tour, la chaîne a retiré le programme de sa grille, évoquant "une erreur isolée", "une mauvaise appréciation" et a présenté ses excuses.