Ces dernières années, lorsque les émissions de télévision avaient besoin d'une militante féministe pour décrypter notre société, c'est souvent à Anne-Cécile Mailfert qu'elles faisaient appel. Pendant cinq ans, elle a été la porte-parole d'Osez le féminisme !, association qui milite pour l'égalité entre les femmes et les hommes et lutte contre les multiples formes que prend le patriarcat dans notre société.
C'est aujourd'hui à la tête de la Fondation des femmes qu'Anne-Cécile Mailfert poursuit son combat contre le sexisme et pour l'égalité. En mars dernier, elle a aussi publié Tu seras une femme ! Guide féministe pour ma nièce et ses ami.e.s aux éditions Les Petits Matins. Elle y invite les jeunes générations à "chausser les lunettes féministes" pour mieux comprendre et combattre les rouages de la société patriarcale. Du slut shaming au harcèlement de rue, du revenge porn aux inégalités salariales, Anne-Cécile Mailfert offre une analyse indispensable des différentes formes que revêt aujourd'hui le sexisme.
Anne-Cécile Mailfert : Ma nièce a eu récemment 16 ans. Je la voyais évoluer et je me souvenais que c'était à cet âge que, pour moi, les "problèmes" avaient commencé. Je me demandais comment lui parler de féminisme, quel ouvrage lui offrir qui soit suffisamment généraliste pour donner une vue d'ensemble, suffisamment enthousiaste et optimiste pour donner envie de se lancer dans la vie sans pour autant tomber dans les travers du Girl Power qui élude les vrais problèmes. Je me suis rendue compte que ce genre de porte d'entrée, simple, accessible, bienveillant, n'existait pas vraiment. Alors je me suis dit qu'il ne restait qu'à le faire !
A.-C. M. : Le féminisme, c'est simplement l'idée que les femmes et les hommes sont égaux : il n'y a donc aucune raison que les garçons aient plus de droits, plus de succès, ou que les filles aient plus de risque d'être victimes de violence. Le féminisme c'est aussi une attitude dans la vie : c'est quand on le peut et comme on peut, toujours s'indigner des injustices, être solidaire des autres femmes, etc. La société patriarcale, c'est la société aujourd'hui un peu partout dans le monde : les hommes dirigent le monde. Malgré le fait que femmes et hommes sont égaux en droit, du moins en France, dans les faits, dans la réalité, ce n'est pas comme cela que ça se passe. Ce sont majoritairement des hommes aux postes de pouvoir, de décision, d'argent, qui, de fait, contrôlent la société et les femmes qui en font partie.
A.-C. M. : Quand on est féministe, on voit parfois le monde en noir : on se rend compte de ce que vivent et subissent les femmes partout dans le monde juste parce qu'elles sont nées avec un sexe féminin, et vraiment parfois ça donne envie de pleurer... Mais c'est aussi des lunettes qui donnent de l'espoir car on voit aussi que les choses n'ont pas à rester comme ça : ce n'est pas la nature des hommes que de dominer les femmes, c'est social et culturel. Donc ensemble, femmes et hommes, on peut choisir de faire les choses différemment et demain, d'améliorer la vie des femmes dans le monde. Ça donne un espoir, une chance, ça ouvre des possibilités incroyables.
A.-C . M. : Mon engagement féministe a commencé à être plus concret quand je suis devenue bénévole au Mouvement du Nid. Mais avant, j'avais déjà cette fibre féministe. Je trouvais que certaines femmes vivaient des situations insupportables et qu'il était encore plus insupportable que la société détourne le regard au lieu de trouver des solutions. Les injustices m'ont toujours révoltée. Petite, je détestais qu'on m'impose des règles, qu'on me donne des ordres, qu'on m'empêche de faire ce que j'avais décidé de faire, qu'on m'enferme... Bref j'étais déjà un peu féministe.
A.-C. M. : Oui car le féminisme est incarné : il prend chair dans la vie des gens. Ce ne sont pas juste des théories. C'est d'abord des femmes et des hommes. C'est d'abord moi, toi, nous, nos corps, nos vies qui souffrent d'inégalités, parfois de violences. Il me paraît essentiel de le rappeler et de revenir toujours à la réalité concrète : c'est de cette réalité que tout doit partir si on veut l'améliorer. Si on veut parler aux adolescents, ou aux jeunes adultes, il faut parler de leur vie quotidienne, on ne peut faire l'impasse sur les cyber-violences ou le porno...
A.-C. M. : Absolument. Laisser les filles dans l'ignorance, c'est les démunir face à quoi elles seront nécessairement confrontées. Quand on naît fille, notre vie sera semée d'embûches. Il faut s'y préparer pour pouvoir réagir, se défendre, surmonter les choses, devenir actrice de sa vie. Laisser les garçons dans l'ignorance c'est aussi grave : pour faire changer la société il faut aussi que la prochaine génération ait compris les erreurs des aînés pour ne pas les reproduire, pour qu'ils fassent le tri dans l'enseignement de la masculinité. Par contre il est important de trouver la bonne manière de le faire. L'idée n'est pas de faire peur mais bien de sensibiliser, d'éduquer, de donner envie aussi.
A.-C. M. : Les droits des femmes, ça avance et ça recule. Ça file entre les doigts. C'est loin d'être gagné. C'est d'ailleurs un peu frustrant car on aimerait se dire que certains combats sont derrière nous. Mais quand on voit que des jeunes en France montent des mouvements anti-avortement, on se dit qu'il faudra être prêt, en face, à répondre... De nouveaux outils servent la domination masculine : les nouvelles technologies apportent aux agresseurs de nouveaux moyens de harceler, de contrôler. Il y a aussi un renouvellement du discours machiste : il est moins frontal mais souvent plus pervers. Sous couvert de liberté et d'égalité, en reprenant nos mots, mais en proposant bien évidemment des choses qui ne remettent rien en cause. Et puis il y a de nouveaux défis. Quand on est féministe, on regarde le monde et on voit que la domination des hommes est aussi en train de massacrer la planète et ce combat est évidemment féministe aussi. Bref, le féminisme a de beaux jours devant lui!
Quel regard portez-vous sur l'élection présidentielle et à la place accordée aux droits des femmes dans la campagne ?
A.-C. M. : J'ai été très déçue de la place des droits des femmes dans cette campagne. On en a que peu parlé. Mais il faut voir que toute la campagne a été très décevante, peu de projets de fond ont été abordés. C'est dommage car aujourd'hui les engagements sont faibles et déjà peu tenus: nous sommes très déçues de ne pas avoir de ministère des droits des femmes, promesse de campagne du candidat Macron.
En mai 2015, vous avez quitté Osez le féminisme après cinq années passées dans l'association. Pourquoi cette décision ?
A.-C. M. : J'avais besoin d'avoir une action plus concrète, moins dans le rush médiatique, et surtout j'avais envie de voir une fondation des femmes en France. J'en avais marre de voir d'un côté de beaux discours pour l'égalité et de l'autre des associations peu soutenues, s'épuiser à agir concrètement avec trois bouts de ficelle. Dans ce contexte, comment voir vraiment bouger les chiffres si on ne met pas de moyens sur la table? Comme personne ne le faisait, je me suis dit qu'il fallait que je me lance. Mais c'était impossible de garder ces deux engagements très forts. J'ai donc quitté OLF. Très vite, de nombreuses personnes ont souhaité également qu'une Fondation des femmes voit le jour et nous l'avons faite ensemble.
A.-C. M. : La Fondation des femmes est la première structure de collecte en faveur des droits des femmes et de la lutte contre les violences. Nous aidons les associations à trouver le soutien dont elles ont besoin pour agir et améliorer concrètement l'égalité femmes-hommes. Nous organisons des événements de collecte comme la Nuit des Relais, et reversons les fonds aux associations, nous les soutenons aussi juridiquement avec une équipe de 80 d'avocates et avocats mobilisable en pro-bono, nous avons ouvert un lieu dédié... La parole que nous portons auprès du gouvernement est simple : si on veut que les choses s'améliorent vraiment, il faut donner plus de moyens aux associations qui, sur le terrain, tous les jours, sensibilisent à l'égalité dans les écoles, les entreprises, les quartiers, l'opinion publique ou auprès des femmes victimes de violences, pour les aider à porter plainte, à se reconstruire. Sans cela, le reste c'est beaucoup de blabla.
Anne-Cécile Mailfert, Tu seras une femme ! Guide féministe pour ma nièce et ses ami.e.s (Éd. Les Petits Matins)