Corinne a mis du temps avant de pouvoir prononcer le mot "cancer". Encore aujourd'hui, elle parle du "souci", de "ça". Et cette cadre dynamique de 49 ans doit aller exhumer son dossier médical lorsqu'on la questionne sur le type de cancer dont elle a été diagnostiquée à 43 ans. Elle n'a d'ailleurs jamais fait de recherches sur la question. "Si on a trop d'infos sur certains sujets, ce n'est pas génial." Elle a juste compris qu'il s'agissait d'un cancer agressif. "Enfin... je crois", ajoute-t-elle.
Cette "chose" qu'elle a aperçue en se regardant dans la glace ce matin de 2016, cette peau d'orange bizarre logée sur son sein droit, c'était un cancer "HER2 infiltrant" qui avait pris la forme de plusieurs tumeurs. Après palpation, sa gynéco l'envoya immédiatement faire des examens. Puis Corinne, habitante de Courbevoie en région parisienne, a été prise en charge par lInstitut Curie à Paris. La voici emportée dans un tourbillon de rendez-vous, d'examens et de soins. "Je n'ai pas eu beaucoup à réfléchir car tout avait été déjà organisé", explique-t-elle. "J'ai dû faire de la chimio avant l'ablation totale du sein car les médecins avaient peur des métastases."
Corinne était directrice d'une grosse boîte et manageait cinq équipes à l'époque. Arrêter de travailler pendant cette épreuve ? Elle ne l'a pas envisagé une seconde. "Je ne réalisais pas trop, c'est finalement ce qui m'aidait à fonctionner. Je ne voulais pas juste avoir un cancer", confesse-t-elle aujourd'hui. Elle qui n'a pas l'habitude de lâcher du lest va pourtant faire face à ce qu'elle ne maîtrisait pas : "J'ai perdu mes cheveux, mes cils et mes sourcils dès le début de la chimio, alors que ma boîte était en pleine réorg. Le regard des autres changent quand on a un cancer, ils ont peur."
Elle poursuit, coûte que coûte, participe à des ateliers avec des socio-esthéticiennes, fait bonne figure auprès de ses filles de 6 et 8 ans, encaisse ses séances de radiothérapie tous les matins avant d'aller au bureau grâce à un mi-temps thérapeutique.
D'un débit mitraillette, Corinne raconte son choix d'adopter des foulards plutôt que des perruques, son refus de faire de sa maladie un tabou, cette douleur qui l'a accompagnée jour comme nuit ("même en rêve"), ce combat si solitaire. "Même accompagnée, je me suis sentie seule", souffle-t-elle, la gorge nouée. "On se bat toute seule, personne ne peut le faire à notre place, personne ne peut comprendre."
A l'issue de ses 30 séances de radiothérapie, Corinne s'est vue proposer par l'Institut Curie un essai clinique de 18 mois pour éviter la rechute et la survenue de métastases. Car le cancer du sein touche chaque année près de 60 000 femmes en France et 10 ans après le premier diagnostic, 15 à 20 % de ces cancers récidivent. "Je n'avais jamais pensé que je pouvais en mourir, je ne voulais pas l'entendre. Mais quand on m'a proposé cet essai, j'ai signé : j'ai enfin compris que c'était plus dangereux que je ne l'imaginais."
Corinne la battante enlève ses oeillères, admet qu'elle est fatiguée. Et elle finit par le formuler auprès de sa famille comme des professionnels de santé. En plus de l'essai clinique, elle a cherché un soutien psy et intégré le programme pilote Activ' proposé par l'Institut Curie, basé sur l'activité sportive adaptée et la nutrition. "Ce programme est formidable : il baisserait de 24 % le risque de récidive dans le cadre du cancer du sein. En bougeant plus, j'ai eu l'impression de reprendre possession de mon corps, de mon cerveau, de ma vie", confie-t-elle. "Alors que mes cheveux repoussaient à peine, j'ai quand même postulé pour un nouveau poste de direction. Mais après l'entretien, je me suis dit qu'il fallait peut-être ralentir..."
Aujourd'hui et alors qu'elle "en a encore pour 4 ans et demi", Corinne va bien. "J'ai mis cinq ans à relever la tête, à faire le deuil de tout cela". Elle a repris un poste à responsabilité, mais en réinventant son rapport au travail. Et elle a envie de porter une parole d'espoir et de vigilance. "Il faut oser demander, poser des questions, accepter les protocoles et les soins de support qu'on nous propose", conseille-t-elle. "Et surtout, il est essentiel de se regarder, de prendre rendez-vous si quelque chose cloche. C'est comme ça qu'on se sauve. Si je ne l'avais pas fait, je serais morte, j'en suis sûre à 200% aujourd'hui."