Qui n'a pas pleuré à la fin de Je verrai toujours vos visages ? Pour son troisième long-métrage, la cinéaste Jeanne Herry nous a immergé au sein de tout un concept : celui de justice restaurative. Initié dans la loi française en 2014, ce protocole très spécifique consiste à réunir auteurs de délits et victimes. Le tout étant bien sûr soigneusement encadré. Echanger, ensemble, pour essayer de réparer. Ou pas. Cela, le film n'y répond pas totalement.
Et tant mieux. La réalisatrice convoque un casting quatre étoiles (Miou Miou, Leila Bekhti, Gilles Lellouche, Elodie Bouchez) avec en son sein une formidable interprète, Adèle Exarchopoulos, dont l'intensité s'est vue récompensée le 23 février dernier : aux César, la comédienne a été sacrée d'une statuette de la meilleure actrice dans un second rôle. Mais Je verrai toujours vos visages, lui, s'est vu snobé malgré ses multiples nominations.
Tout du moins, jusqu'à aujourd'hui ! Car ce drame choral très sensible vient d'être couronné... par le César des lycéens. Il a su parler aux jeunes générations - ou tout du moins, à ce jury composé de 2 286 d'élèves de terminale, issus des lycées de la France entière. Une petite victoire pour une oeuvre à ne pas louper.
Surprise ! Alors que tout le monde attendait Justine Triet ou Thomas Cailley (Le règne animal) au tournant c'est donc Jeanne Herry qui remporte la statuette. Mérité ? Oui. Car l'on y trouve notamment les partitions fortes de comédiens de talent, dont une Adèle Exarchopoulos dont le personnage suit une trajectoire parallèle aux autres, jusqu'à retrouver son agresseur l'espace d'un échange intimiste dont la force est venue scier bien des publics.
Mais également car ce film est le prolongement d'une intention propre à son autrice - un besoin de véracité à la lisière du documentaire. A Terrafemina, la cinéaste précisait : "Documentaire je ne sais pas, documenté c'est certain (sourire). Le film a exigé beaucoup de documentation, ne serait ce que pour comprendre les protocoles associés à ce dispositif. Cette première phase se fait donc auprès d'encadrants, d'accompagnants, de ceux qui font la justice restaurative en France, qui ont pensé ce dispositif très précis"
"C'est auprès d'eux que j'ai glané le plus d'informations. Mais j'ai aussi rencontré certaines victimes, et auteurs de délits, pour comprendre comment ces personnes se sont senties prises au charge dans leurs parcours, ce qu'elles ont pu traverser, leur cheminement. Il y a tellement de sortes de trajectoires. Glaner des témoignages m'a également permis d'essayer de trouver des marqueurs communs du côté des encadrants comme des victimes. Il s'agissait par la suite de mettre de la fiction dans un réel qui est déjà très romanesque".
Tout un travail en amont du scénario, durant l'écriture, et même après, nécessaire pour saisir cette sensation de vérité sociologique, et humaine, qui parvient à envahir l'écran au sein d'un film extrêmement dialogué - mais où les silences comptent tout autant. Libération de la parole, et de l'écoute, tissent leur trajectoire au coeur d'une oeuvre engagée et polyphonique.
"Ce qui est frappant chez les victimes, c'est ce sentiment d'enfermement : comme une prison intérieure. C'est aussi ce que vivent certains auteurs. Pouvoir parler, quand on est bien écouté, c'est en sortir en partie, c'est donc très libérateur. Il y a beaucoup de choses à libérer"
Césarisé donc, mais surtout engagé. Tant mieux.