Accepter l'instant comme il vient, ne pas appréhender la catastrophe, envoyer valser ses angoisses diverses (de la vie, de la mort) en privilégiant la force pragmatique de son esprit afin de trouver (enfin) le bonheur, accueillir "l'ordre naturel" des choses dans une quête constante et objective d'équilibre, de justesse et de vertu.
Tout le monde a à l'esprit les préceptes du stoïcisme, cette école de philosophie fondée dans la Grèce antique, avant d'être réappropriée par les grands penseurs romains. Même en plein drame, les stoïciens nous incitent à faire preuve de philosophie - à bas les émotions disproportionnées qui détruisent autant que les malheurs ! Autant vous dire que l'on aimerait faire preuve de cette zénitude olympienne à l'heure du coronavirus.
Et pourquoi pas ? Dans le monde d'après, d'aucuns se rêvent déjà aussi sages que l'empereur et écrivain romain Marc Aurèle. Tant et si bien que Le Monde voit carrément en ce courant de pensée "un remède cognitif" à la pandémie actuelle, si si ! Plutôt surprenant à l'heure où l'émotif poussé à l'extrême et l'immédiateté déraisonnée imprègnent nos réseaux sociaux, nos applications, nos quotidiens confinés.
Et pourtant, le stoïcisme, ce mode de pensée qui nous renvoie à la société athénienne du troisième siècle avant J.C., pourrait bien être une salvatrice réponse aux mélancolies du monde d'après. Si si.
La preuve ? L'école antique du grec Zénon de Kition vit depuis quelques mois un véritable retour de hype dans les librairies, physiques et en ligne. Comme le note Le Monde, le célèbre éditeur britannique Penguin Random House se réjouit d'une augmentation de 28 % des ventes des Pensées pour moi-même de Marc Aurèle, l'une des petites Bibles du stoïcisme - aux côtés des Lettres à Lucilius de Sénèque, autre classique qui a connu un boom entre deux confinements, "notamment en format numérique", dixit la maison au pingouin.
Les âmes esseulées par la grande crise sanitaire, économique et politique que nous vivons se remettent donc à la philosophie, et c'est tant mieux. La philo, oui, mais pas n'importe laquelle. Celle du "non" décoché à la peur, de la sérénité face aux incertitudes du monde, du refus des "faux jugements" plein d'affects qui submergent nos esprits, façonnent les mauvaises attitudes et nous paralysent. Quand les infos en continu ont de faux airs de fin du monde ou de jour sans fin, on aimerait nous aussi avoir le recul malicieux de Sénèque et Marc Aurèle.
"Le stoïcisme consiste à trouver comment faire face, faire ce qu'il faut - et faire de son mieux - malgré ce qui se passe autour de nous", nous explique le magazine en ligne Refinery29. Et ce avec un mot d'ordre en bandoulière, terriblement galvaudé depuis un an bientôt, surtout par les voix politiciennes : la résilience. La résilience est une capacité, et pas n'importe laquelle. Elle désigne notre propension à résister aux chocs.
Dans un monde où les mobilisations collectives sont de plus en plus difficiles, autant vous dire qu'elle est bien la seule forme de résistance qu'il nous reste. Mais essayons de ne pas le déplorer, au risque de déprimer. "La pandémie et les restrictions qu'elle nous impose nous obligent à faire ce que les stoïciens nous conseillent depuis deux millénaires : ne rien tenir pour acquis. Loin de noircir notre existence, cette attitude lui donne du relief et de la valeur", se réjouit de son côté le professeur de philosophie américain William B. Irvine.
Soyons philosophes, soyons optimistes.
Le stoïcien donne du relief à sa vie, oui, mais met aussi les choses à plat. Son grand combat est celui de la neutralité face à la fatalité. Neutralité des attitudes, des émotions et des réactions, même quand le navire semble couler, dévoré par une monstrueuse tempête. C'est à un grand chamboulement de nos jugements, c'est à dire de notre point de vue porté sur le globe et les aléas du quotidien, que nous invite ce courant de pensée.
"En somme, ce que nous prenons pour des obstacles sont des choses neutres en soi : c'est nous qui leur apposons un jugement positif ou négatif. Confinement et déconfinement sont donc des événements neutres. Ils ne sont ni bons ni mauvais puisqu'ils ne dépendent pas de nous. Mais c'est nous qui les évaluons comme des problèmes ou des soulagements", décrypte La Tribune. A l'ère des emojis, Sénèque et ses amis nous invitent donc à faire preuve d'un brin de discernement. Un sacré challenge n'est-ce pas ?
Peut-être bien, mais pas si absurde. "Marc Aurèle écrivait et régnait pendant une épidémie de peste. Cela ne devrait donc pas nous surprendre que ses pensées aient conservé une certaine pertinence aujourd'hui", nous rappelle l'auteur Ryan Holiday dans les pages de Refinery 29. Pour l'écrivain, auteur d'essais aux titres bien sentis comme Le calme est la clé et L'ego est ton ennemi, le stoïcisme est un véritable "guide de vie".
Et des guides stoïciens, il y en a plein. L'oeuvre philosophique de Chrysippe de Soles, le Manuel d'Epictète, les écrits de Cléanthe, pour ne citer que cela... De quoi mieux vivre ces couvre-feux qui s'éternisent. Car la lecture face aux déluges est bien la première vertu du stoïcisme, ce mouvement si complexe. "La connaissance pour elle-même n'est pas une vertu dans le stoïcisme, qui ne consiste pas à lire des livres sans fin. Cependant, il ne s'agit pas non plus de paresse intellectuelle : Marc Aurèle bien qu'il dise ne pas ranger ses livres, était un lecteur vorace !", nous apprend l'écrivain écossais et spécialiste de la philosophie stoïcienne Donald Robertson.
Autres conseils ? Ne rien tenir pour acquis. Ne pas transformer une tentative de sagesse personnelle en indifférence cynique. Ou notre quête du bonheur et de l'apaisement en mépris des affects d'autrui. Le stoïcisme ne doit pas s'envisager comme un dédain individuel exprimé à l'adresse de l'empathie, de la faiblesse et du désespoir. Il propose simplement d'autres outils pour mesurer notre peine et scruter notre environnement. Prometteur.
"Lire un texte stoïcien, ce n'est pas simplement être appelé à 'faire mieux', à 'donner son maximum' ou à 's'efforcer d'être meilleur'. C'est avant tout, prendre une grande bouffée d'un air si frais qu'il pourra paraître glacé à certains et peut-être impropre à toute respiration ultérieure. Car la méthode du stoïcisme est la suivante : ne plus jamais respirer comme avant ; ne plus jamais vivre comme avant. à cette condition l'on pourra faire de soi une citadelle imprenable", théorise enfin France Culture. De quoi transformer notre espace confiné en château fort.