C'est une tribune à l'intitulé puissant : "Quand est-ce qu'une mannequin possède sa propre image ?". Dans ce long texte publié du côté du New York Times, la mannequin et actrice américaine Emily Ratajkowski revient notamment sur l'agression sexuelle qu'elle a subie alors qu'elle n'était âgée que de 20 ans. Le contexte ? Un photoshoot pour le magazine Darius, réalisé en 2012. L'agresseur présumé ? Un photographe, Jonathan Leder.
Durant ce face-à-face qui a duré toute une (longue) journée, le photographe va régulièrement servir du vin à la mannequin "pour la détendre". Lui demander de poser en lingerie, puis nue, alors que cela n'était pas du tout prévu. "On m'a toujours dit qu'il était important d'avoir une réputation de travailleuse et d'être facile à vivre. Mon agent me répète toujours qu'on ne sait pas avec qui les photographes feront un shooting après."
La séance va s'éterniser jusque dans la nuit. Même la maquilleuse finira par s'en aller. Ne restaient donc que Jonathan Leder et Emily Ratajkowski, en état d'ébriété. Celle-ci raconte aujourd'hui : "Tout ce qui arrive après est flou dans ma tête, sauf mes sentiments. Je ne me souviens pas l'avoir embrassé mais je me souviens de ses doigts en moi. De plus en plus fort. Ça me faisait vraiment, vraiment mal. J'ai attrapé instinctivement son poignet et j'ai retiré sa main avec force. Je n'ai pas dit un mot. Il s'est levé brusquement et est parti silencieusement dans l'obscurité." Un témoignage éprouvant.
De cet événement, elle ne dira rien. Mais un jour, la célébrité tombe sur un livre. Et dans ce livre, ces photographies. Jonathan Leder aurait publié le tout sans lui demander son autorisation. D'où, derrière le drame, son interrogation, cruciale pour se reconstruire : "Quand est-ce qu'une mannequin possède sa propre image ?".
Une question désormais devenue lutte, puisque qu'affaire de justice. Alors que les avocats de Jonathan Leder plaident son innocence, le photographe incriminé se défend à l'unisson dans les pages du New York Times. Il juge ces accusations "farfelues" voire même "infantiles". Et se permet au passage de sacrés sous-entendus sexistes : "Vous savez de qui nous parlons, n'est-ce pas ? De la fille qui posait nue dans le magazine Treats ! [...] Vous voulez vraiment que quelqu'un croit qu'elle est une victime ?", aurait-il déclaré au journal. No comment.
Quant à la maison d'édition du livre de photographies en question, Imperial Pictures Publishing, elle aussi fustige des accusations "fausses" et voit là "une recherche incessante de médiatisation" de la part de la jeune femme. Un argument classique pour les détracteurs du mouvement #MeToo. Mais rappelons que cela fait quatre ans déjà que la mannequin pointe du doigt le photographe. En 2016, elle l'accusait déjà de "vol" sur Twitter.
Aujourd'hui, le récit de cette agression sexuelle émeut la Toile. "Cette tribune est puissante et triste, elle suscite la colère et stimule en même temps. À qui appartient un corps, une personne, surtout à l'ère des réseaux sociaux ? Et comment se fait-il que le corps des femmes ne soit pas considéré comme le leur ?", s'interroge une internaute. "Ce témoignage m'a rendu physiquement malade, surtout quand vous réalisez que son histoire est certainement en train d'arriver à tant d'autres jeunes femmes vulnérables", s'attriste encore une journaliste de mode.
Dans son texte, Emily Ratajkowski ne se contente effectivement pas d'évoquer son propre cas. Entre les lignes, elle rappelle les pressions constantes auxquelles sont soumises les jeunes mannequins, celles qui souhaitent perdurer dans le milieu, quitte à rester seules avec des "professionnels" mal intentionnés. Une lecture essentielle, à relayer.