Culture
Etudiante option « escort » : une prostitution qui ne dit pas son nom
Publié le 31 janvier 2012 à 16:03
Par Marine Deffrennes
Peut-on avoir 20 ans et se prostituer par choix ? Le film « Elles » de Malgoska Szumowska (avec Juliette Binoche, en salles le 1er février) pose la question dans le vif. Si la prostitution étudiante est un bien grand mot pour une réalité volatile, l'échange de services sexuels entre jeunes est-il en passe de se banaliser ?
Etudiante option « escort » : une prostitution qui ne dit pas son nom Etudiante option « escort » : une prostitution qui ne dit pas son nom© Film « Elles »
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Charlotte, la vingtaine pétillante, joues roses et regard malicieux, explique à Anne, journaliste, que pour se payer les sacs et les chaussures de ses rêves, elle préfère coucher avec des hommes pour de l’argent plutôt que de travailler au Mac Do. Le choc du film « Elles », de Malgoska Szumowska (sortie le 1er février), tient de cette conversation inattendue, de cet aveu si peu conforme à notre idée de la prostitution comme esclavage de la féminité et négation de l’intégrité de celle qui vend son corps. Le « plus vieux métier du monde » a-t-il à ce point changé de visage qu’il n’effraie plus les lolitas fraîchement sorties du Lycée ?

« Troc », « Escorts » : des mots pour banaliser la prostitution
Trois ou quatre fois par semaine, dans un hôtel ou un studio étudiant, ces rendez-vous occasionnels ne disent pas leur nom. « « Escort » est un grand mot pour désigner une prostitution plus chère que la moyenne », explique Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles, spécialiste de la lutte contre le trafic sexuel, mais c’est surtout un mot qui « rassure » et « déculpabilise ». Chez les plus jeunes, certaines pratiques observées relèvent de l’échange de services entre jeunes décomplexés. C'est du moins ce que craint Hélène de Rugy, déléguée générale de l’Amicale du Nid (association qui accompagne la réinsertion d’anciennes prostituées), lorsqu’elle écoute des assistantes scolaires ou des professeurs de collège : « c’est un petit-ami qui pousse sa copine à faire un strip-tease devant les copains, des fellations pratiquées dans les toilettes contre des cadeaux… » Effets directs et pervers, selon elle, du formatage des jeunes filles, élevées pour séduire et satisfaire le désir masculin, « la notion de prostitution se banalise chez ces jeunes, les médias et certaines séries TV (« Journal intime d’une call-girl », ndlr), véhiculent une idée d’une prostitution glamour, choisie ». En témoigne aussi le drôle de conte de fées offert par Zahia, prostituée adulée des footballeurs à 16 ans, reconvertie en artiste adoubée par Karl Lagerfeld à 20 ans : l’exemple a de quoi inspirer des destinées... Le sociologue Philippe Andrès parle même d'« assignation » des rôles de client et de prostituée : « d’un côté, les garçons de moins de 25 ans subissent une pression du groupe pour aller prouver leur virilité auprès d’une prostituée, de l’autre on désigne presque certains groupes de jeunes filles isolées et en grande précarité pour leur faire comprendre que la prostitution fait partie des possibles ».

2% des étudiants
Quel est donc ce « fait de société », à la fois médiatique et invisible, si proche et si insaisissable ? Du film à la réalité, le phénomène n’est pas évident à appréhender, « dans les enquêtes sur le proxénétisme, on recense peut-être entre 0 et 0,1% d’étudiant », explique Y. Charpenel, « il est logique que nous n’ayons pas de visibilité chiffrée puisqu’il s’agit bien souvent d’une prostitution occasionnelle, en dehors des lieux habituels, et qui échappe à nos radars », ajoute-t-il. Pourtant la sonnette d’alarme est tirée, ponctuellement, par les infirmières, personnels des universités ou professeurs, qui transmettent aux associations leurs inquiétudes. « Des assistants sociaux de CROUS (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires) nous confient qu’il n’est pas rare de rencontrer des jeunes gens en grande difficulté qui ont été rémunérés pour des rapports sexuels », explique Hélène de Rugy. « Ces jeunes sont très difficiles à aborder et à accompagner, ils n’assument pas leur situation et ne se reconnaissent pas en difficulté, nous ne pouvons pas les forcer à nous parler », confirme Philippe Andrès, sociologue et responsable d’un programme de prévention spécifique pour les étudiants à Montpellier. Pour remédier à ce manque de repères, une enquête a été lancée en 2009 au sein de l’Université Paul Valery de Montpellier. En 2010 et 2011, plus de 1700 étudiants ont répondu anonymement au questionnaire sur les « représentations de la prostitution étudiante ». Résultat : 13% des jeunes disent connaître dans leur entourage des personnes qui se sont prostituées ou qui se sont soumises à d’autres formes de commerce du sexe, et 2% des répondants affirment qu’ils se sont déjà prostitués. « Ces chiffres peuvent paraître dérisoires, pourtant ils révèlent le phénomène d’acceptation de la prostitution auprès des jeunes », commente P. Andrès. Et pour cause : 15% des étudiants interrogés répondent qu’ils seraient prêts à accepter un acte sexuel en échange de cadeaux ou d’argent pour se sortir d’une situation très précaire.

« Elles », de Malgoska Szumowska

Au-delà et en-deçà du choix
Une grande majorité (96%) des étudiants interrogés à Montpellier considèrent que le premier facteur d’entrée dans la prostitution est la précarité, contre 4% qui pensent qu’on peut y entrer par choix. Mais pour H. de Rugy la réalité est beaucoup plus complexe, expliquant pourquoi tous les étudiants en mal de bourse ne passent pas à l’acte… Elle distingue des facteurs fragilisants -parcours familiaux difficiles, violences sexuelles subies dans l’enfance-, et des facteurs déclencheurs, soit bien souvent « la rencontre avec quelqu’un qui l’a déjà fait », ou avec toute forme de proxénétisme. Embauchées comme hôtesses d’accueil ou serveuses, des étudiantes se voient proposer des activités plus « rentables » et subissent ensuite des pressions lorsqu’elles veulent arrêter. « Certaines commencent d’elles-mêmes à 22 ans, elles sont jeunes et jolies, et gagnent beaucoup d’argent, raconte H. de Rugy, elles pensaient s’arrêter au bout de deux mois, le temps de sortir la tête de l’eau, de payer leurs études, et elles poussent finalement la porte de l’Amicale du Nid à 35 ans ».

Demeure l’éternel combat de celles qui revendiquent un choix, et assument cette activité comme un métier. « Dans nos associations nous accueillons celles qui veulent sortir de la prostitution, nous ne rencontrons pas les escort heureuses », concède H. de Rugy. C’est le paradoxe du personnage de Charlotte (joué par Anaïs Demoustier dans le film « Elles ») et de son « job étudiant ». Elle avoue son plaisir quand elle constate le pouvoir et la maîtrise qu’elle acquiert sur les hommes, et sa jubilation face à cet argent « facile », jusqu’à ce client qui lui rappelle brutalement que le maître, c’est celui qui paie.

« Elles », de Malgoska Szumowska, avec Juliette Binoche, Anaïs Demoustier et Joanna Kulig, le 1er février au cinéma.

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