68. Ce sont pas moins de soixante-huit étudiantes qui ont été forcées de se déshabiller au Sahjanand Girls Institute, un établissement scolaire pour filles de la ville de Bhuj, dans l'ouest de l'Inde. La raison ? Leurs professeurs souhaitaient savoir si... elles avaient leurs règles. Et, le cas échéant, mettre à l'écart (comprendre : exclure) toutes celles qui cochaient cette cause. Ce fait scandaleux s'est déroulé le 10 février dernier et n'a cessé, depuis, de susciter l'indignation, des médias internationaux aux réseaux sociaux.
Dirait-on de cette humiliation ritualisée qu'elle nous étonne ? Pas tant que cela, puisqu'elle émane de l'Inde, cette société où les femmes sont menacées, meurtries et assassinées, même les petites filles. Y subsiste une véritable banalisation des agressions, verbales, physiques et sexuelles, à l'encontre de la gent féminine. Mais avoir cela à l'esprit ne rend pas ce fait divers moins révoltant. Dans le cas présent, il faut savoir que les rênes du "girls only" Sahjanand Girls Institute sont tenus par la secte hindoue de Swaminarayan. D'où la dimension littéralement sectaire de l'établissement, dont le règlement intérieur diabolise ouvertement les menstruations.
Cette "vérification" odieuse s'est déroulée après qu'un professeur ait retrouvé une serviette hygiénique usagée dans un jardin, à l'extérieur de l'établissement. Mais ne vous y trompez pas, la procédure n'a rien d'hasardeuse. Tel que le relate le média The Wire, de telles opérations avaient déjà eu lieu en 2017 dans un pensionnat de Muzaffarnagar, dans l'État de l'Uttar Pradesh, au nord de l'Inde : 70 étudiantes avaient été forcées de se déshabiller pour les mêmes raisons, c'est-à-dire vérifier leur situation menstruelle. Idem en 2018, dans les écoles publiques du district de Fazilka, dans l'Etat indien du Pendjab, au nord-ouest du pays. Une douzaine d'étudiantes avaient du procéder à ce "rituel". Malgré le scandale et l'implication des autorités, les enseignants incriminés n'avaient pas été renvoyés, mais transférés au sein d'autres établissements.
Mais pour les étudiantes du Sahjanand Girls Institute, c'en est trop. "C'était une pure torture mentale", fustige l'une d'entre elles dans les pages du Times of India. Constat identique pour le père de l'une des victimes : "Ces gens n'ont pas le droit de torturer ma fille de cette manière". Une torture qui éclot de croyances religieuses inscrites noir sur blanc sur les textes de l'établissement. Lesquelles indiquent, reporte The Wire, que les femmes menstruées ne sont pas autorisées à entrer dans le temple ou la cuisine de l'école, socialiser, ou même toucher les autres étudiantes, et doivent s'asseoir sur les derniers bancs de la classe ou encore se réfugier au sous-sol. Une exclusion et un phénomène d'invisibilisation totalement assumées donc.
Cette diabolisation des règles est une constante en Inde, où les menstruations font figure de tabou. En 2015 déjà, la jeune étudiante indienne Nikita Azad dénonçait cet état des faits sur les réseaux sociaux à travers sa campagne #HappyToBleed, déplorant que son pays souffre encore de "coutumes rétrogrades, barbares et misogynes", vouant toutes les citoyennes qui saignent aux insultes, humiliations et agressions diverses. Sans oublier qu'en Inde, la majorité des femmes n'ont tout simplement pas accès aux produits sanitaires. "Nous saignons, acceptez-le", insistait alors Nikita Azad. C'était il y a cinq ans. Et depuis, rien n'a changé.
"[Ce qui s'est passé au Sahjanand Girls Institute] est un crime grave, une atteinte à la dignité, et cela doit être considéré comme une agression sexuelle", s'alarme l'auteur et concitoyen Tushar Gandhi sur Twitter. Aujourd'hui, les étudiantes humiliées réclament justice. Les jeunes femmes ont donc déposé plainte auprès du vice-chancelier de l'Inde et manifesté sur le campus du Sahjanand Girls Institute. Leurs parents également vont déposer plainte contre l'institut et son directeur. Une enquête et un recueil de témoignages sont en cours.
Espérons que la médiatisation de ce scandale aide ces étudiantes à retrouver le respect qu'on leur a refusé. Selon la Commission Nationale pour les Femmes, trois employées de l'administration de l'établissement auraient déjà été jugées responsables de ces abus et suspendues par le Sahjanand Girls Institute.