"Si vous voulez l'épouser, nous pouvons vous y aider. Sinon, vous perdez votre emploi et allez en prison". Ces mots hallucinants ont été prononcés par le président de la Cour suprême indienne Sharad Arvind Bobde, lors d'une audience tenue lundi 1er mars. Celui-ci examinait alors une demande de mise en liberté sous caution d'un technicien du gouvernement accusé d'avoir violé une écolière.
Dans la foulée, de nombreuses voix se sont levées, pas moins de 5 200 personnes exigeant la démission du magistrat dans une lettre ouverte rédigée par plusieurs défenseur·e·s des droits des femmes, a précisé l'une d'entre elleux, Vani Subramanian, à l'Agence France Presse. "En suggérant que ce violeur épouse la victime-survivante, vous, le juge en chef de l'Inde, avez cherché à [la] condamner à une vie de viol en la livrant au bourreau qui l'a conduite a essayer de mettre fin à ses jours", peut-on notamment y lire.
Autre sujet mentionné dans le texte, la façon dont, lors d'une audience différente pour viol conjugal, le juge Bobde a de nouveau prouvé son indifférence crasse face aux souffrances des victimes, en questionnant le terme en lui-même. "Le mari est peut-être un homme brutal, mais pouvez-vous qualifier de viol l'acte de relations sexuelles entre un homme et une femme légalement mariés ?", a-t-il lancé.
Ce à quoi les militant·e·s ont répondu : "Ce commentaire autorise non seulement toute forme de violence sexuelle, physique et mentale de la part du mari, mais il normalise aussi la torture que les femmes indiennes subissent depuis des années dans le cadre de leur mariage sans aucun recours légal". A rappeler qu'en Inde, le viol conjugal n'est pas considéré comme un crime.
Sharad Arvind Bobde n'a toujours pas répondu à la lettre. Avant lui, son prédécesseur Ranjan Gogoi avait été confronté au mouvement #MeToo et accusé d'agression sexuelle par une ancienne collaboratrice. Il a depuis été innocenté.
Cette culture du viol profondément ancrée dans la société, de plus en plus d'Indien·ne·s la dénoncent. Dans les rues ou sur les réseaux sociaux, la mobilisation s'organise. Une révolte d'autant plus forte ces derniers temps que le nombre de viols a explosé de façon exponentielle avec la pandémie, rapportait à l'automne le New York Times. En septembre dernier, deux jeunes femmes issues de la communauté dalit (les "opprimé·e·s"), la plus basse de la hiérarchie des castes indiennes, ont été violées et assassinées, plongeant le pays dans l'horreur.
Une réalité insoutenable, que la justice elle-même ne semble pas vouloir entendre.