Des citoyennes japonaises, on connaît la facette féministe, révolutionnaire : celle des femmes salariées qui se battent pour pouvoir porter des lunettes de vue au travail par exemple, ou plus encore, la colère des anonymes qui depuis trois ans épousent le mouvement #MeToo en dénonçant les abus et injonctions qu'on leur affligent. Or, se révolter est des plus ardus dans un pays meurtri par d'éprouvantes réalités sociales.
Par exemple ? La crise sanitaire mais aussi économique qui s'abat depuis plusieurs mois sur le Japon, exacerbant la précarité des citoyennes et le taux de chômage national. Résultat de cette grande dépression, le nombre de suicides du côté des femmes serait en augmentation... de 45 %. Une hausse très inquiétante relevée par cette enquête du journal La Croix. On y parle carrément d'une "explosion" du taux habituel.
Et comme à chaque crise, ce sont les catégories de personnes les plus fragilisées et discriminées qui sont les plus directement touchées. Les femmes, donc, mais aussi les jeunes de moins de 30 ans, dont le taux de suicide serait lui aussi en recrudescence : selon les chiffres relayés en cette rentrée par la police japonaise, il a augmenté de 55 %. Et ce alors que les chiffres du suicide étaient en baisse progressive depuis quinze ans...
Faut-il voir là "l'effet-covid" ? Bien sûr. Responsable du Bureau chargé de la prévention des suicides de la municipalité de Tokyo, Tomoyuki Miyakawa observe depuis plusieurs mois une augmentation nette des appels, à raison de 100 voire 200 appels de plus par mois en moyenne - de 1 600 à 1 800 grosso modo. On l'imagine, la pandémie alourdit volontiers la santé mentale (et professionnelle) des femmes.
Mais en vérité le coronavirus ne fait que mettre en lumière - et empirer - une situation globale peu reluisante. Au Japon, nous rappelle La Croix, le niveau de salaire des femmes est depuis bien longtemps inférieur à celui des hommes, à raison d'un écart salarial moyen de 30 % observé en 2019. C'est considérable. "Cette position fragile par rapport aux hommes dans la vie professionnelle mais aussi familiale explique cette hausse des suicides", estime le psychiatre Chiaki Kawanishi, pour qui la crise économique est indissociable de ce phénomène.
Dans un pays directement touché par la faillite des entreprises, le chômage et les vagues de licenciements, les femmes sont en première ligne. Ce n'est pas si étonnant. L'an dernier déjà, un reportage de L'Express révélait la difficile condition de la citoyenne Japonaise : discriminations, difficultés à s'imposer, stéréotypes bien archaïques (des universités aux entreprises), tabou du harcèlement, impossibilité de briser le plafond de verre...
"Aujourd'hui, le risque de suicide ne fait que s'aggraver et pour y faire face, il faudrait renforcer les mesures de soutien, mais nous avons un budget limité et les choses n'avancent pas comme on le souhaiterait", déplore en retour le Bureau chargé de la prévention des suicides de la municipalité de Tokyo. Malheureusement, au vu des inégalités énoncées, il faudra bien plus qu'un bureau pour contrer cette situation alarmante.