Menton relevé, cheveux colorés en rose et en bleu, regard droit et affirmé... La petite Avery Jackson a beau avoir 9 ans, sa photo pour National Geographic, un mastodonte de la presse américaine, met surtout en lumière son assurance et sa maturité. Immortalisée par le photographe anglais Robin Hammond, elle fera en janvier 2017 la couverture d'un numéro spécial sur la question des genres.
Et il promet d'ores et déjà d'être historique, au vu des réactions suscitées par le dévoilement de sa Une : car si la décision de mettre la question du genre à l'honneur a été massivement applaudie, dans la presse du monde entier comme sur les réseaux sociaux, elle est évidemment loin de faire l'unanimité. Et depuis, des associations conservatrices et religieuses se déchaînent sur la jeune Avery Jackson, devenue l'emblème de la lutte des transgenres... et démontrent par leur violent harcèlement la nécessité remettre ce sujet controversé au coeur du débat social.
"Ce qu'il y a bien avec le fait d'être devenue une fille, c'est que je ne suis plus obligée de faire semblant d'être un garçon", explique joyeusement Avery Jackson dans le numéro spécial de National Geographic "La révolution du genre". Cette fillette de 9 ans a entamé sa transformation à l'âge de 4 ans, et a changé de sexe un an après. Etant la première enfant transgenre à s'exprimer sur son histoire dans les médias, elle est devenue malgré elle un symbole de la cause transgenre : "Je suis heureuse et fière d'être transgenre. Je ne suis pas un monstre. Je ne fais pas peur. Je veux simplement être traitée comme n'importe quel autre être humain", avait-elle déclaré au Paper Magazine.
"A 4 ans, ma fille s'est révélée en déclarant avec force et conviction : 'Je suis en réalité une fille, je suis une fille à l'intérieur'. Cette déclaration a transformé ma vie pour toujours et je ne le changerais pour rien au monde", a expliqué Tom Jackson au Kansas City Star . Comme l'explique le père à ce journal local du Kansas, les parents d'Ashley, Debi et Tom, ont toujours soutenu la petite fille, même si cela a provoqué la colère d'une partie de leur famille et une perte de 40% de ses clients pour Tom, qui travaille dans le milieu saturé de testostérone du sport et des athlètes de haut niveau. C'est même Debi qui a fièrement twitté la couverture du National Geographic, avec le commentaire : "Je tremble tellement que j'ai du mal à écrire. Merci d'avoir mis Avery en Une ! #transisbeautiful".
Malheureusement, même si Avery et ses parents ont reçu une pluie de félicitations, de compliments et de remerciements pour le témoignage de la petite fille, ils ont également été pris pour cible par des trolls enragés et des associations puritaines. Messages de haine, menaces, insultes, incitations au suicide... En attaquant la question du genre, National Geographic a exposé la haine, la colère et l'incompréhension qui obscurcissent ce sujet - et donc l'immense nécessité d'en parler.
En faisant la Une de National Geographic, Avery a attiré l'attention du monde entier sur la question du genre... mais aussi sur elle. Et cette victoire a un goût amer : depuis que l'identité de la famille a été révélée, les Jackson sont la cible d'attaques et de menaces quotidiennes de la part de conservateurs outrés. Dans le Kansas City Star, Debi, la mère d'Avery, s'exprime sur les messages de haine qu'elle a reçus, secouée : "Ça allait de 'Tu es une mère abusive, on devrait appeler les services de protection de l'enfance' à 'Tu devrais être tuée sur le champ - la seule manière de mettre tes enfants en sécurité est de t'exterminer' !". "Des trolls ont lancé un fil sur moi, dans lequel ils me décrivaient comme un parent horrible et abusif, qui utilisait sa fille pour devenir riche et célèbre et qui évidemment, devait cacher une terrible déviance sexuelle pour transformer mon garçon en fille".. raconte-t-elle encore.
En plus du cyberharcèlement et des accusations à l'égard des parents, qualifiés de tous les noms d'oiseaux possibles et imaginables pour avoir soutenu et accompagné leur fille dans sa décision, les associations conservatrices américaines ont lancé un mouvement pour boycotter le numéro de janvier de National Geographic, qui fait une promotion de la "confusion sexuelle", selon eux. L'American Family Association (AFA), une ONG américaine aux valeurs chrétiennes fondamentalistes qui défend la famille "traditionnelle", a même mis en ligne sur son site un email pré-rédigé à envoyer à la rédaction du National Geographic. Cette association, qui a une sainte horreur de l'homosexualité ou de la pluralité du genre qu'elle qualifie "d'abominations", veut les faire renoncer à publier le numéro sur la question du genre :
"Je suis offensé par votre choix de mettre un jeune enfant qui souffre de dysphorie de genre en une du magazine de janvier. Au lieu de choisir un adulte transgenre, vous choisissez d'exploiter un jeune garçon. Depuis le début de l'humanité, il n'y a eu que de sexes : masculin et féminin. Aucun enfant ne devrait être utilisé pour faire la promotion d'un agenda social non naturel. Imaginez le chagrin et le traumatisme psychologique causés par une dysphorie de genre chez les enfants et les adultes. Plutôt que d'abandonner la géographie et de couvrir de honte les Américains en leur demandant d'adopter un tel mode de vie, nous devrions aider les individus qui se battent avec de tels troubles. Autrement dit, aider ces individus confus à accepter ce merveilleux cadeau de la nature créé et donné par Dieu".
Submergée par des emails de récriminations et des plaintes, la rédaction de National Geographic a décidé de publier un long édito dans lequel Susan Goldberg, la rédactrice en chef, s'est expliquée sur cette couverture et ce sujet historiques : "Nous voulons porter un regard sur les rôles traditionnels du genre, à travers le monde, mais nous voulons aussi regarder le genre comme un spectre [...]. Aujourd'hui, nous ne parlons pas seulement du rôle des genres pour les garçons et les filles, nous évoquons aussi notre compréhension croissante des gens qui se trouvent dans cette question du genre", écrit-elle.
Quant à la petite Avery, elle n'a eu l'air guère impressionnée par cette vague de haine, et affirme ne pas regretter une seconde son exposition médiatique : "Ça aide les gens, et c'est montrer qu'on existe. Les personnes transgenres existent vraiment. Et elles sont là, sous vous yeux, vous ne pouvez pas les ignorer. Cette couverture montre aussi que je suis fière d'être transgenre, ou plutôt que je m'en moque : je suis juste un être humain normal, qui essaye de faire bouger un peu les choses", a-t-elle confié au Kansas City Star.