Lorsque l'on pénètre dans la Maison des Femmes de Saint-Denis, on peine à croire que l'on se trouve dans un établissement socio-médical, où sont reçues et auscultées chaque jour environ 35 femmes. C'est sans doute parce ce lieu unique en son genre est bien plus que cela.
Inaugurée en juillet 2016 par l'ancienne ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes Laurence Rossignol, la Maison des Femmes est un refuge au milieu de la ville de Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. Accolée à l'hôpital Delafontaine auquel elle est rattachée, cette jolie maison aux couleurs vives accueille des femmes victimes de violences conjugales ou de violences sexuelles, abrite un Planning Familial et une unité de soins pour les victimes de mutilations génitales.
Lorsqu'on franchit la porte d'entrée, on est saisie par la chaleur du lieu, décoré de portraits poétiques enfantins et signés Clémentine de Pontavice. Dans un coin de la pièce trônent une petite table et des chaises pour enfants. Des portraits de femmes "qui ont permis de changer la face du monde" décorent les portes, tout comme celui de la chanteuse Inna Modja, marraine de l'établissement. Sur le comptoir de l'accueil, des dépliants pour des ateliers psycho-corporels et des groupes de parole attendent les patientes.
Veillées par une Nana, l'une de ces sculptures féminines toutes en courbes de Niki de Saint Phalle, des jeunes femmes patientent pour être reçues par l'un.e des professionnel.le.s travaillant pour la structure. En tout, une quarantaine de personnes, salarié.e.s et bénévoles, participent au bon fonctionnement de la Maison des Femmes. Outre les médecins, sages-femmes et infirmières qui y sont employé.e.s, les femmes se rendant dans la structure ont aussi à leur disposition des psychologues, des conseillères conjugales et familiales ou encore des assistantes sociales pour les accompagner au mieux dans leur démarche.
Ce lieu unique, qui panse les plaies des femmes victimes de violences conjugales, de viol, d'inceste ou d'excision, c'est le médecin Ghada Hatem qui en a eu l'idée. Cheffe du service maternité de l'hôpital Delafontaine la gynécologue-obstétricienne, elle est depuis l'an dernier en charge de l'unité Mutilations sexuelles féminines, au sein de laquelle elle a reçu et reconstruit plus de 300 femmes excisées en l'espace de 16 mois.
Selon une étude menée par l'Ined, 5 000 femmes excisées vivraient actuellement en France. Certaines, résidant en Seine-Saint-Denis, viennent consulter le Dr Hatem. "Pour l'excision, on reçoit deux populations différentes. D'abord les demandeuses d'asile, qui ont besoin d'un certificat d'excision pour elles, et d'un certificat de non-excision pour leur.s fille.s, ce qui permet d'appuyer leur demande de statut de réfugiée en valorisant la protection de l'enfance. Ensuite des femmes nées en France, bien insérées, parfois mères de famille, et qui découvrent qu'elles ont été excisées quand elles étaient petites filles, soit le savent et souhaitent bénéficier d'une reconstruction", détaille Ghada Hatem, qui suit de près chaque femme qu'elle a reçue pour une opération. "Une femme qui vient nous voir pour une excision est suivie ici pendant à peu près un an", de sa première consultation à la reconstruction. "S'il y a reconstruction, on la voit jusqu'à quatre à cinq mois après." Les femmes excisées ont aussi à leur service un sexologue, des psychologues, ainsi qu'un groupe de parole mensuel, auquel participe parfois Inna Moja.
Car les femmes se rendant à la Maison des Femmes ont souvent besoin d'être accompagnées, écoutées et conseillées. Souvent précaires et socialement isolées, parfois sans-papier ou sans domicile fixe, elles bénéficient de soins et d'une oreille attentive, dépourvue de tout jugement au sein des trois unités que compte la structure – Planning Familial, Mutilations sexuelles féminines, violences. En dix mois, 10 000 actes de consultation ont d'ailleurs été réalisés.
"J'ai ouvert la Maison des Femmes à Saint-Denis parce que c'est là que je travaille, mais aussi parce que c'est à Saint-Denis que j'ai rencontré les populations qui avaient le plus besoin d'une telle structure", nous explique-t-elle dans une salle haute de plafond, décorée de portraits de femmes inspirantes, et qui sert de lieu de pause aux professionnels de la Maison. "Mais sans aller jusqu'à des cas aussi extrêmes que ceux que l'on voit ici, je pense que la Maison des Femmes répond un besoin qui est partout. Une structure comme ça en plein Paris aura forcément des patientes. Il n'y a qu'à voir toutes les femmes qui sont descendues dans la rue et ont dénoncé les abus dont elles ont été victimes avec #MeToo et #BalanceTonPorc", poursuit Ghada Hatem.
Répondant à un réel besoin – aider, soigner, conseiller les femmes victimes de violences – la Maison des Femmes doit son existence à la pugnacité de Ghada Hatem. La gynécologue a bataillé pendant trois ans pour ouvrir un établissement socio-médical spécialement dédié aux femmes, toquant aux portes pour recueillir soutien et aides financières. "Si je me suis battue comme ça, c'est parce que c'était un sujet nouveau que le monde hospitalier ne s'était pas encore approprié, analyse-t-elle. Ça leur apparaissait plus comme une source d'ennuis que comme une réponse à un réel besoin, à une ressource mise à disposition des femmes."
Au total, la Maison des Femmes a coûté 980 000 euros. Financée par l'État, les collectivités territoriales et des fondations privées comme Kering, Raja ou ELLE, elle se maintient aujourd'hui à flot malgré un évident besoin d'agrandissement des locaux et a même fait des émules. Le jour de notre visite, Ghada Hatem et ses collègues recevaient leurs homologues de Bruxelles, où vient d'ouvrir la Maison des Femmes de Schaerbeek. "Nos amis belges ont bénéficié de recommandations gouvernementales suite à la signature de la Convention d'Istanbul sur les droits des femmes. L'État belge s'est donc mobilisé pour trouver une solution concrète pour venir aux femmes victimes de violences, comme l'ouverture de lieux dédiés. Ils ont mis neuf mois là où j'ai mis trois ans. Ça change la donne !"
Le soutien de l'État et des collectivités au projet de la Maison des Femmes, justement, manque cruellement à la structure pour continuer à vivre et à soigner les femmes qui en ont besoin. "On a un souci de place car maintenant qu'on a le nombre professionnels qu'il nous fallait, on n'a pas assez de bureaux et on se marche dessus", nous explique Violette Perrotte, qui s'occupe de la com' de l'établissement. C'est justement pour agrandir les locaux qu'elle a lancé une campagne de crowfunding. L'objectif ? Réunir 30 000 euros pour agrandir les locaux. "L'autre sujet financier que l'on a, c'est que nos salaires sont payés par des fondations privées pour un temps défini : deux ans, trois ans, nous explique Ghada Hatem. Moi ce que je voudrais, c'est que ce soit éternel, donc il faut que le gouvernement se décide à rémunérer tous les soignants et professionnels qui travaillent ici."
En attendant l'incertaine éventuelle de Marlène Schiappa ("On a reçu un petit mot, mais pas de vraie marque de soutien"), la Maison des Femmes poursuit son travail : aider au mieux celles qui en ont besoin, sans attendre un éventuel plan d'urgence du gouvernement, comme le réclament les associations féministes. "Les jeunes femmes françaises qui ne sont pas précaires et vulnérables mais qui sont victimes de violences sexuelles, c'est une chose. Faire une loi-cadre pour elles a du sens. Mais je doute qu'elle change quoi que ce soit pour les femmes super vulnérables, qui dorment dans la rue, se prostituent, sont violées. C'est un autre monde et une loi-cadre ne les aidera pas. Il faut faire une chose pour ces femmes : s'occuper de leur flux migratoire. On reçoit énormément de femmes qui traversent la frontière, qui quittent une vie parfois pas forcément catastrophique, et qui répondent à l'appel de l'Europe. Or quand elles arrivent là, l'Europe ne leur tend absolument pas les bras."