"Mes parents et moi-même sommes des réfugiés politiques. Ce serait bête de mourir en France après avoir fui la guerre..." Vidoo, 27 ans, ne décolère pas. Il a peur et mal pour sa maman, caissière depuis 18 ans dans un magasin d'alimentation. Tous les matins, celle-ci emprunte un train de banlieue, puis la fameuse ligne 13 (bondée) du métro, pour se rendre sur son lieu de travail en plein centre de Paris. Elle fait partie de ces "premières lignes" qui ont été exposées au coronavirus pendant toute la durée du confinement. Des salarié·e·s parti·e·s au front et auront permis de maintenir le pays paralysé à flot. Mais alors que le port du masque a été rendu obligatoire dans les transports en commun sous peine d'une amende de 135 euros depuis ce 11 mai, la mère de Vidoo a eu la très désagréable surprise de devoir débourser une somme indécente pour une boîte de 50 masques. Comme une double peine.
"Ma mère gagne le SMIC, ça fait presque 20 ans qu'elle est caissière, je trouve inadmissible qu'elle ait à sortir de sa poche 45 euros, c'est-à-dire quasiment une journée de travail pour se protéger."
Aujourd'hui, Vidoo prend la parole parce qu'il est indigné. Et pour sa mère d'origine sri-lankaise "qui ne parle pas bien français". Dès le début de l'épidémie de Covid-19, l'hôtesse de caisse a été rapidement équipée pour faire face aux contaminations. Masque, visière, vitre en plexiglas... "C'est d'ailleurs à ce moment-là qu'elle s'est dit que ce n'était pas une simple petite grippe. Elle a déjà des petits problèmes de santé de son côté, elle a commencé à être un peu inquiète". Mais ses trajets quotidiens dans des rames surchargées, alors que le virus circule encore activement en Île-de-France, la placent en situation de vulnérabilité.
Si Vidoo estime que sa mère est "correctement" protégée sur son lieu de travail, le jeune homme fustige la gestion globale de la crise, alors qu'une partie de la population court encore après ces fameux masques. Et pointe du doigt la pénurie de ces moyens de protection, au coeur de la polémique depuis le début de l'épidémie. "Il aurait fallu distribuer des masques à toute la population dès le début pour limiter des cas de transmissions sur les lieux de travail, dans les commerces ou dans la rue", regrette-t-il, amer.
Alors que le gouvernement a annoncé un plafonnement du prix des masques chirurgicaux à 95 centimes d'euros l'unité, Vidoo et sa maman n'ont pu que constater que les abus perduraient. "D'après plusieurs témoignages que j'ai reçus, il semblerait que de nombreuses pharmacies ne respectent pas ce plafonnement. Le président Emmanuel Macron avait dit que certaines choses devaient échapper aux lois du marché. Visiblement, cela n'a pas été entendu... Et ce coût, pour des salaires au niveau du SMIC comme les caissières, c'est énorme."
Car l'hôtesse de caisse est obligée de porter deux masques par jour pour ces trajets domicile/lieu de travail (un à l'aller et un au retour) et son employeur refuse pour le moment de l'équiper dans ce cadre-là (il n'est juridiquement pas tenu de le faire). "Je comprends qu'on ne puisse pas donner des masques gratuitement à tout le monde, ce serait ingérable économiquement", pondère Vidoo. "Mais il y a des personnes au contact des gens, que ce soit dans les hôpitaux, les écoles ou dans les magasins, à qui on devrait en fournir."
Appelant à la solidarité, Vidoo estime que la RATP, l'employeur ou encore le gouvernement devraient s'atteler à distribuer gratuitement des masques à ces "héros et héroïnes" souvent mal rémunérés, même pour leurs trajets. Sous peine de voir ces salarié·e·s précaires glisser dans la pauvreté, de par cette dépense supplémentaire et imposée. "Les protéger, ce serait un juste retour des choses". Son cri d'alerte sera-t-il entendu ?