Et si le monde appartenait à la génération Z ? Celui de la musique, en tout cas, nous susurre cette douce hypothèse. Les performances de Billie Eilish, 19 ans, fascinent la planète. L'indie rock nostalgique de beabadoobee, 20 ans, fait fureur outre-Atlantique. Et dans la catégorie des (tout juste) vingtenaires à suivre s'impose depuis deux ans déjà Mxmtoon, nouvelle reine de la bedroom pop, ce genre musical fait à même la chambre à coucher (comme l'indique l'intitulé) popularisé par des artistes comme Clairo et Powfu.
Si le nom de Mxmtoon, ou Maia pour les intimes (à moins que cela ne soit l'inverse) ne vous dit encore rien, cela ne devrait pas durer. Cette année, cette jeune chanteuse et musicienne américaine a sorti pas moins de deux EPs, Dawn et Dusk. En 2019, elle nous enchantait déjà avec un album très accompli, The Masquerade. Son truc ? Faire résonner les cordes légères du ukulele et les touches plus solennelles du piano pour mieux mettre en mélodie(s) un certain spleen ado qui n'en finit pas de traverser les générations.
Mélancolique, sa voix témoigne de bien des doutes et introspections : celle d'une jeune femme bisexuelle et paumée qui cherche un peu de chaleur humaine à l'heure d'Instagram et de TikTok. Défi réussi, puisque Mxmtoon a déjà su fédérer une belle communauté (plus de 785 abonné·e·s sur son Insta). Retour sur un parcours exemplaire.
Aujourd'hui, avec son Dusk paru en ce début octobre, Mxmtoon se permet un étonnant featuring en compagnie de Carly Rae Jepsen. Oui oui, celle qui il y a huit ans déjà affolait Internet avec son hit Call me maybe. Comme une sorte de passage de relais : Maia, elle aussi, a tout pour devenir une idole des jeunes. De la "Gen-Z", elle a le langage. Depuis deux ans et la sortie de son premier EP, Plum Blossom (Fleur de prunier, en français), l'ancienne étudiante est de ces artistes ultra-connectées qui tracent leur route à force de milliers de likes sur Instagram, d'écoutes et uploads cumulés sur Soundcloud et de millions de vues engendrées sur YouTube.
Son pseudo, l'artiste le doit d'ailleurs à sa page Insta, ouverte dès ses onze ans. A l'origine, elle y proposait des cartoons personnalisés que lui demandaient les internautes, d'où le mot "Toon" dans Mxmtoon - prononcez "em-ex-em-toon". Son virage vers la musique, cette jeune Californienne née d'une mère sino-américaine l'a entrepris ado. Au lycée, elle jouait déjà du violon, de la guitare et (plus surprenant) de la trompette. Arrivée à la fac, elle décide de lancer sa chaîne YouTube et se sert de tutos pour apprendre le ukulélé, cet instrument si cool et pourtant si négligé. Elle en fera sa marque de fabrique.
A 13 ans, elle écrit sa première chanson. Mais il faudra attendre 2017 pour que l'introvertie partage enfin ses créations musicales au plus grand nombre. A la base, Mxmtoon voulait être YouTubeuse. Il faut dire que pour l'artiste, les réseaux sociaux et la chanson, c'est pareil : il s'agit avant tout "de faire partie du quotidien des gens, qu'ils écoutent [sa] musique dans le bus de l'école ou qu'ils regardent [ses] vidéos après une trop longue journée, d'employer un outil qui permet de se connecter avec eux", explique-t-elle au magazine Bright Lite.
Et rien de plus fédérateur que les sonorités qu'elle aime tant à composer, l'instrument traditionnel hawaïen en mains. Un exemple ? Sa chanson la plus pop, Prom Dress ("La robe du bal de promo"), dont le clip dépasse les 20 millions de vues sur YouTube. Une ritournelle écrite à 18 ans et qui, sous son apparente légèreté, dévoile une réelle gravité. Celle qui est en alors en pleine phase post-highschool y parle de larmes versées entre deux couloirs, de solitude, de confusion des sentiments et de regrets. Le refrain ? "Je serais la reine du bal si pleurer était un concours". Ambiance.
Mais ne vous y trompez pas, rien de déprimant dans ces balades, malgré des noms qui en disent long : "feelings are fatal" ("les sentiments sont mortels"), "temporary nothing" ("un 'rien' temporaire"), "seasonal depression" ("dépression saisonnière"). Non, le plus de Mxmtoon, c'est son côté solaire envers et contre tout, ses airs qui réchauffent nos coeurs comme un plaid l'hiver, sa voix lumineuse. C'est pour cela que son audience ne cesse d'accroître depuis Plum Blossom, et surtout The Masquerade (2019), réjouissant succès critique. A sa sortie, le prestigieux New Yorker voit en elle quelque chose de rare : une surprenante "sophistication émotionnelle".
Et le New York Times d'emboîter le pas en lui dédiant un long portrait, saluant à l'unisson son "authenticité émotionnelle" (décidément). Premier album, mais grande révélation : le journal la compare déjà aux valeurs sûres de la jeune scène folk et pop plus ou moins indé d'aujourd'hui, comme Girl In Red, Clairo, et une certaine... Billie Eilish. On applaudit alors la qualité intimiste de ses rengaines plus complexes qu'on ne pourrait le croire.
Cette notoriété presque neuve doit effectivement beaucoup à cette "authenticité" évidente. Sur TikTok, la chanteuse entretient un dialogue quasi quotidien avec ses plus de deux millions de fans. Et celles et ceux qui l'aiment la suivront même sur Twitch, plateforme de live-streaming qui lui permet d'enchaîner discussions et séances de karaoké. En interviews, même transparence. Au New York Times, elle se définit comme une jeune femme bisexuelle, soucieuse de fédérer une communauté "très respectueuse", composée en bonne partie "de jeunes femmes de couleur ou de jeunes LGBTQ, qui partage de nombreux points communs avec [elle]".
Ce ne sont pas des paroles en l'air. Car c'est aussi (et peut-être avant tout ?) aux singularités marginales que s'adresse l'ancienne étudiante. Ses chansons parlent des laissées-pour-compte, des âmes esseulées et des affects qui blessent. Mais leur musicalité mélodieuse réconforte. Et le simple fait de traiter de tels sujets, également. Elle l'avoue noir sur blanc au site Revolt : "Mon objectif principal avec la musique que je produis a toujours été d'aider les gens à se sentir moins seuls, d'une manière ou d'une autre".
Des créations inclusives, donc.
Et de nouveaux fans risquent encore d'affluer avec Dusk. Son opus le plus pop peut être, où sa voix harmonieuse se fait volontiers jazzy. Il y est de nouveau question de fleurs (de giroflées plus précisément), de solitudes et de doutes. Mais aussi d'un "chapitre qui semble se conclure", si l'on en croit les paroles de son morceau "First". La promesse de lendemains qui chantent ? Pourquoi pas.
Car le feel good est comme une seconde nature chez elle. Malgré le poids de la reconnaissance, Mxmtoon conserve une certaine insouciance. L'industrie musicale n'est pas à la lire une finalité, encore moins une fatalité. Elle est juste le début d'une nouvelle histoire. "Est-ce que je me vois assister aux Grammy Awards ? Je suppose, oui. Mais je ne veux pas attaquer la trentaine et continuer à faire ce que je fais aujourd'hui", avoue-t-elle au New York Times.
Profitons donc de sa prodigieuse vingtaine.