Le Covid a chamboulé bien des aspects de votre vie, et l'impact des confinements se fait encore ressentir sur votre mental 5 mois après la fin du dernier. Du mal à sortir dans des lieux bondés, un besoin de se retrouver seul·e plus qu'avant, ou à l'inverse, une envie de voir du monde difficile à rassasier et une crainte bien réelle de passer une minute de plus devant un écran sans échange avec l'extérieur. C'est selon l'humeur.
Ce qui vous perturbe surtout, c'est la façon dont vous avez l'impression que le temps vous échappe. Littéralement. Vous ne le voyez pas filer, vous êtes toujours en train de courir pour rattraper un retard que vous étiez persuadé·e de ne pas provoquer, et vous avez du mal à estimer précisément de quand datent certains événements d'un passé plus ou moins proche.
Ce phénomène a un nom : la "cécité temporelle", et pourrait, quand il ne s'agit pas d'un facteur du trouble de l'attention et/ou de l'hyperactivité (TDAH), être directement lié aux conséquences psychologiques de l'épidémie et des restrictions qui l'accompagnent. On le dissèque pour vous.
D'abord, il est important de comprendre que cela affecte "le passé, le présent et le futur", insiste Sarah Templeton, thérapeute elle-même atteinte de TDAH et de cécité temporelle, auprès de Glamour UK. La spécialiste met en situation : les personnes atteintes de cécité temporelle "ne savent jamais combien de temps il y a eu" entre deux événements.
"Lorsqu'on nous demande : 'Quand êtes-vous parti en vacances pour la dernière fois ?', nous n'en avons aucune idée. Si un médecin demande à une femme quand elle a eu ses dernières règles, elle n'en aura pas la moindre idée. Notre cerveau ne sait pas à quand remonte une chose - il sait qu'elle s'est produite, mais il ne sait pas si c'était il y a une semaine, un mois ou un an."
Les expert·e·s affirment également que la condition n'est pas la seule explication à cette réalité. La cécité temporelle est désormais liée au manque de sommeil, à la dépression, à l'anxiété, au deuil et à la surconsommation d'alcool. Des états qui peuvent affecter considérablement notre santé mentale et la façon dont nous voyons le monde, et avoir un impact sur la "fonction exécutive" de notre cerveau, soit l'ensemble de compétences mentales comprenant la pensée flexible, le contrôle de soi et une mémoire de travail.
Des états qui, surtout, ont été particulièrement expérimentés pendant le Covid, et directement causés par l'atmosphère anxiogène que la pandémie a engendré. Toutefois, attention à ne pas mettre tous vos retards dans le même panier.
"Être en retard pour quoi que ce soit est un bon indice que vous souffrez de cécité temporelle. Vous êtes d'ailleurs susceptible d'être en retard dans tous les domaines", concède la Dre Elena Touroni, psychologue, à la version britannique du Harper's Bazaar. "Cependant, je pense personnellement qu'il existe un certain nombre de raisons psychologiques aux retards, la cécité temporelle n'étant que l'une d'entre elles. Le fait d'être en retard peut également être une conséquence de la relation individuelle que l'on entretient avec le temps, par exemple la quantité de choses que l'on essaie d'accomplir et le réalisme de ces attentes."
A prendre avec précaution, donc. Et si vraiment on pense avoir trouvé ce qui cloche, reste à tenter de l'adresser.
Aux "diagnostiqué·e·s", Yasuhiro Kotera, universitaire en psychologie, prévient : "Si vous souffrez de cécité temporelle, il est probable que vous serez considéré comme peu fiable si vous ratez des échéances ou si vous êtes en retard pour rencontrer des amis", explique-t-il au média.
"Dans un contexte professionnel, ces choses peuvent conduire à une évaluation de faible performance, ce qui pourrait alors vous faire perdre votre confiance en vous ainsi que votre emploi." Le spécialiste poursuit, insistant sur une notion essentielle : "Il est important d'associer cela au comportement, et non à l'identité : il s'agit d'une relation entre le temps et vos comportements, ça n'a rien à voir avec votre identité."
Heureusement, il existe des moyens de se remettre sur les rails.
Le premier, somme toute évident et évoqué par les trois expert·e·s : régler des alarmes pour tout ce qui nécessite une arrivée ou un rendu précis. Ensuite, munissez-vous d'une horloge, d'une montre ou d'un téléphone qui vous indiquera l'heure en permanence. "Faites en sorte de trouver au moins cinq minutes chaque jour pour réfléchir à vos tâches et à vos projets. Cela les ramènera au premier plan de votre esprit, ce qui peut vous aider à ne pas perdre la notion du temps", ajoute Yasuhiro Kotera.
Et puis, structurez davantage votre routine. "Fixez des limites de temps claires pour les activités de la journée sans trop les programmer", avise Dre Touroni. La thérapeute Sarah Templeton rappelle cependant d'appréhender cette rééducation avec bienveillance, qu'on en souffre ou qu'on "souffre" du retard de l'autre.
"Ce n'est pas toujours quelque chose dont on peut s'affranchir complètement, si c'est la façon dont le cerveau fonctionne", lance-t-elle à Glamour UK. "Il est important de simplement l'accepter. De moins juger et d'accepter que pour certaines personnes, c'est un problème énorme. Cela peut vraiment affecter leur vie quotidienne, et la dernière chose dont ils ont besoin, c'est que les personnes les jugent pour cela - cela ne fait qu'aggraver leur cas." A méditer.