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Comment parler du racisme aux enfants (pour mieux le combattre)
Publié le 12 juin 2020 à 19:16
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Discriminations, racisme, intolérance : comment parler de tout cela à nos enfants ? Une interrogation plus complexe qu'il n'y paraît. Une experte nous répond.
Comment parler de racisme aux enfants ? Comment parler de racisme aux enfants ?© Adobe Stock
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C'est une étude de la revue American Psychologist qui nous l'apprend : les humains commencent à prendre conscience des différences très tôt dans leur vie - pour certains cas, dès l'âge de six mois. Et dès leurs 10 ans, ils peuvent même commencer à reconnaître "des signes évidents de discrimination raciale", nous assure-t-on. Dès lors, évoquer aux plus jeunes ces discriminations qui traversent notre société nous semble indispensable.

Oui, mais comment poser les bons mots et les bons gestes pour dire le racisme, avec clarté et justesse ? Quelle attitude et discours faut-il tenir face à nos enfants ? L'interrogation est complexe : elle a trait à l'éducation, à la culture et au dialogue. Et ce n'est pas la pédopsychiatre Marie Rose Moro qui nous contredira.

Cheffe de service à la maison des adolescents de l'hôpital Cochin, directrice de la revue transculturelle L'autre et autrice prolifique (Enfants de l'immigration, une chance pour l'école, ed. Bayard), l'experte nous partage de précieuses recommandations afin d'ouvrir la voix avec pertinence et pédagogie.

Terrafemina : Les enfants peuvent-ils être racistes ?

Marie-Rose Moro : Je ne pense pas. Même s'il faut étudier cela en fonction des âges, je pense que les enfants perçoivent des différences, certes (de couleur, de manières de vivre, d'être) mais n'en tirent pas pour autant d'interprétations péjoratives ou de hiérarchisations claires – du type "blanc, c'est mieux que noir". Ils peuvent bien évidemment dire "c'est mieux comme moi, je suis", mais n'énoncent pas d'eux-mêmes cette hiérarchisation négative et systémique qui amène à la discrimination.

Les enfants ne sont pas racistes, mais constatent les différences, et très tôt, dès l'école maternelle. Par la suite, ils vont alors chercher ce que signifient au juste ces différences, comment les interpréter. Et c'est justement à ce moment-là qu'ils sont très influençables. Ils peuvent dès lors être influencés par leur famille, leur milieu social, leur entourage, ce qu'ils entendent et observent à l'école... De là, ils peuvent en tirer des interprétations, qui pourraient éventuellement engendrer des comportements racistes. Mais ils ne les ont pas naturellement.

Pourquoi il faut parler du racisme aux enfants. © Adobe Stock
Et ces attitudes racistes, comment leur en parler ?

M. R. M. : Déjà, il est important de ne pas nier ces différences que j'évoque. Dans un premier temps, on doit bien évidemment pouvoir nommer des attitudes discriminantes (cette gradation valorisant ce qui est blanc et clair, mettant du côté "négatif" le reste). Mais d'un autre côté, l'on ne doit pas partager à nos enfants des discours type "on est tous pareil", "je ne vois pas les couleurs", "il n'y aucune différence".

Car de tels propos induisent une négation de la différence. Et une réaction immédiate des enfants, qui se disent : "si on n'a pas le droit de dire qu'il y a des Blancs et des Noirs, c'est qu'il doit y avoir un problème avec les Noirs". Le sujet devient dès lors tabou, ce qui est problématique. D'autant plus que cette réflexion ne correspond pas à la réalité de ce qui est vécu et observé par les enfants.

En vérité, les enfants interprètent les projections : c'est à dire qu'ils perçoivent des faits, et ensuite, ils interprètent du sens. C'est pour cela qu'il est important de leur dire dès le début les mots justes, de reconnaître que les différences existent au sein de notre société, mais que l'on a également des histoires différentes, des géographies différentes. Il ne faut pas être "niais" mais ne pas établir de hiérarchies non plus bien sûr.

Malheureusement, de nombreux adultes le font, opposent majorités et minorités, forts et faibles...

"Ne pas ignorer les différences" © Adobe Stock
De fait, c'est d'abord aux adultes de se déconstruire ?

M. R. M. : Oui, tout à fait. Une déconstruction est nécessaire. Un enfant noir, qui a été adopté en Afrique, est déjà venu me dire : "mes parents disent que noir et blanc c'est pareil, mais moi je vois bien que c'est pas pareil du tout, et mes amis à l'école me disent que je n'ai pas de chance d'être noir...". Il en a déjà parlé trois fois à ses parents, qui, un peu agacés, lui ont encore répété qu'il n'y avait pas de différence.

Or le fait de nier totalement, ce n'est pas correct. Il faut pouvoir évoquer ce sujet sérieusement. Quand on ne le fait pas, on ne permet pas aux enfants noirs de s'identifier à de vrais modèles, des personnes qui leur ressemblent et ont inventé, créé des tas de choses. C'est tout un travail d'éducation à assurer.

L'éducation a un rôle crucial à jouer dans ce processus ?

M. R. M. : Oui, elle peut être un moyen de lutte contre le racisme. L'éducation à la lutte contre le racisme fait d'ailleurs partie des recommandations européennes majeures. Or, dans les écoles française, on relaie avant tout ce qui a trait aux questions citoyennes et civiques. Mais pas au racisme.

Car au fond on ne le reconnaît pas encore. C'est pour cela qu'on n'incite pas à sa déconstruction au quotidien. Bien souvent, ce travail de déconstruction, les enfants doivent donc le faire tous seuls, c'est aussi pour cela qu'ils cherchent des réponses à leurs questions un peu partout – à l'école, à la maison, au sein de la société.

 

"Nos enfants demain", de Marie-Rose Moro. © Editions Odile Jacob

De manière générale, il y a tout un travail de récit à faire. Quand l'on parle de "travail de récit", il n'y pas bien sûr pas que l'aspect négatif qui entre en jeu. Il est avant tout question de transmission, d'inspiration, de valorisation, de modèles auxquels l'enfant peut s'identifier, vers lesquels il peut se projeter, de rencontres et d'apprentissages communs.

La culture, la littérature pour enfants par exemple, peut-elle permettre ces projections ?

M. R. M. : Bien sûr, l'on parle ici de valorisation, et d'inspiration que l'on va trouver dans la culture, la lecture, le sport, à travers tout un éventail d'images, au sein des productions culturelles et sociales au sens large du terme.

Mais comment leur parler avec justesse de ce qui se passe en ce moment, de ces images de marches antiracisme et de violences policières qu'ils perçoivent peut être par le biais des médias ?

M. R. M. : Il faut avant tout se rappeler que bien nommer les choses, c'est important. Car les enfants ne sont pas insensibles à tout cela. Lors d'une de mes dernières consultations un jeune garçon est venu me demander : "mais madame, c'est vrai que quand je serai grand on peut me tuer dans la rue, me frapper, me mettre par terre, m'étrangler ?". Il ne faut donc pas dire aux enfants qu'il n'y a pas de danger. Il faut reconnaître qu'il y a des tensions, des conflits au sein de notre société.

L'enfant que j'évoque m'a également dit qu'il ne parlerait pas à sa mère de ses préoccupations car "ça la stresserait trop" (sourire). Il en a parlé avec sa soeur qui lui a dit "si tu es sage, ça ne t'arrivera pas !"... Cela veut dire que si ça lui arrive, c'est qu'il n'était pas sage ?

"Enfants d'ici venus d'ailleurs", de Marie Rose Moro. © Editions La Découverte

Il faut comprendre que ce dont l'on parle induit de vraies discussions et inquiétudes dans l'esprit de l'enfant : de quelle façon me voit-on au juste ? Quelle est ma place dans ce monde ? Ce sont des questions complexes. On ne peut pas réduire les enfants à une partie d'eux-mêmes, à une seule facette de leur histoire – le racisme, c'est justement cela, et c'est problématique.

Alors oui, il faut reconnaître que le racisme, le sexisme et l'homophobie, ont un nom, leur en parler. Car si personne ne dit que c'est interdit, pose des mots dessus, les enfants restent scotchés à des soucis qui leur font mal. Il faut évidemment faire savoir que c'est répréhensible, condamner, et bien nommer les choses. Ensuite, faire en sorte que l'enfant ne reste pas figé dans la position de celui qui est touché, le consoler, lui faire entendre qu'il y a un "après".

Il faut donc dire les choses, et dire, ce n'est évidemment pas excuser.

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