En cette rentrée pro pas vraiment enthousiasmante, on a vite fait de se laisser aller au vague à l'âme. De se déprécier systématiquement. Voire même de renier des compétences que l'on sait pourtant remarquables. C'est triste, d'autant plus que ce phénomène n'est pas lié à la crise sanitaire : il a toujours existé, et plus encore chez les femmes. Il ne fait pas bon être une working girl trop sûre d'elle : on vous dira "prétentieuse".
Mais s'il n'y avait rien de mal à être prétentieuse ? Et si au contraire la modestie n'était pas la plus grande des vertus, surtout lorsque l'on évoque la vie professionnelle ? Il serait grand temps de tordre le bras à quelques clichés fâcheux. Et se rendre compte qu'une humilité déplacée peut être carrément contre-productive.
Au taf, cette modestie n'est pas toujours bonne conseillère. Voici sept bonnes raisons de la délaisser.
Aux prémices de cette humilité qui règne dans les bureaux, une réalité scientifique établie par de nombreux ouvrages : le syndrome de l'imposteure. Oui, avec un "e", puisqu'il s'observe majoritairement au sein de la gent féminine. Phénoménal, il désigne le fait de ne pas se sentir légitime dans la profession que l'on a investi. L'autrice et conférencière Valerie Young, autoproclamée "experte du syndrome de l'imposteure", l'explique, témoignages à l'appui, dans son livre Les pensées secrètes des femmes qui réussissent : pourquoi les personnes compétentes souffrent du syndrome de l'imposteur et comment prospérer malgré tout.
Au creux de ce syndrome, des constructions sociales largement médiatisées. Combien de fois vous a-t-on répété à quel point Steve Jobs, Bill Gates, Tom Cruise et Elon Musk, les plus grands mégalos, étaient des génies à part entière ? Quand on parle des hommes, l'arrogance devient l'ADN-même du role model. Une femme qui parle trop fort sur un plateau de télé suscitera à l'inverse les plus beaux noms d'oiseaux : irrespectueuse, "grande gueule", colérique (le stéréotype de la femme en colère), et, plus sexiste, "hystérique" bien entendu.
C'est la peur de sombrer dans ces travers socialement élaborés qui incitent de nombreuses salariées à ne pas trop hausser la voix. Grossière erreur. Conserver cette conviction, celle de l'imposteure, ce n'est pas simplement se brimer au détriment de son épanouissement professionnel, mais aussi enlacer "un stratagème patriarcal qui nuit aux femmes d'innombrables manières", déplore la revue lifestyle I Diva.
L'envers de cette modestie, c'est l'arrogance masculine, la vraie, celle qui ne dit pas son nom, naturelle, presque inconsciente. On lui accole un nom : le mansplaining. Mais si, vous savez, quand un mec vient vous expliquer un concept que vous connaissez déjà très bien. "Si vous êtes une femme, il n'y a pas moyen d'éviter le mansplaining. Oui, vous pourriez être un scientifique de la NASA qu'un mec sur Twitter vous donnerait quand même une leçon sur la différence entre les lunes et les planètes", ironise I Diva. Ironise, mais pas trop : cela est vraiment arrivé à la scientifique Anita Sengupta.
A quoi bon câliner sa modestie quand les hommes vous rappellent constamment que telle est votre place ? Celle de l'ignorante qui se doit d'accueillir, tout sourire, la leçon du professeur. Au taf, cela peut prendre diverses formes : discussions entre managers, réunions d'équipe paternalistes, mails imbuvables de ses supérieurs ou collègues orgueilleux...
Rien de tel alors qu'un bon vieux "Oui oui, je suis au courant" pour leur fermer le clapet. Ou, pour paraphraser la journaliste féministe Rokhaya Diallo : "M'explique pas la vie, mec !".
"Se vendre", c'est important dans le monde de l'entreprise. Non pas vendre son âme, mais déployer une rhétorique solide pour convaincre ses supérieurs d'une augmentation ou d'une promotion, par exemple. La confiance en soi importe alors beaucoup. Et si certains appellent ça "l'arrogance", alors revendiquez-la ! Car l'humilité est signe de vulnérabilité au sein d'un marché agressif riche en discriminations - comme les inégalités salariales.
"Dans ma carrière, j'ai vu trop de femmes accepter des salaires inférieurs par humilité. Elles sont tout simplement trop anxieuses pour exiger une compensation appropriée. Il est très peu probable que vous obteniez ce que vous méritez si vous vous présentez armée d'humilité à un entretien d'embauche", abonde le magazine professionnel Forbes. En ce sens, si elle implique une forme de compétition, c'est parce que la soi-disant "prétention" féminine est avant tout une réponse concrète à un monde masculin, celui du business et de la "vie active".
Forbes nous rappelle d'ailleurs que les difficultés qu'éprouvent de nombreuses salariées à revendiquer leurs aptitudes font beaucoup de mal à leur carrière. Elles ne les aident ni à progresser, ni à décrocher un nouvel emploi, ni à se réorienter professionnellement. Entre autres car ces voix anonymes peinent à identifier leur "avantage concurrentiel", cette qualité que d'autres n'ont pas, et donc à se démarquer au sein du marché.
Mais aussi à faire du "réseautage" et élaborer un carnet de contacts solide. Ledit carnet peut très bien être sororal d'ailleurs, c'est-à-dire largement féminin. Qu'on se le dise, l'arrogance n'a rien d'anti-féministe.
Bref, la modestie n'est pas source de profits. Enfin, ça dépend pour qui : elle incite volontiers les autres à profiter de vous. Au boulot, cela peut concerner tout et n'importe quoi, du fait le plus anecdotique à la plus grosse arnaque. Du café servi gracieusement aux heures sups non-rémunérées, du petit service "en plus" aux tâches acceptées, bien qu'elles ne correspondent pas du tout à votre rôle premier dans la boîte...
Le fait de ne pas prendre conscience de ses aptitudes implique un manque de repères qui facilite une fâcheuse tendance - celle de tout accepter sans protester. Dire "oui" à tout peut être un challenge d'une semaine, mais cela ne doit pas être la philosophie d'une vie. L'air de rien, les incidences de la modestie sont donc multiples. Charge mentale, travail cumulé, fatigue physique, malaise, voire même, burn out professionnel.
C'est aussi pour cela que l'arrogance importe. Elle n'est pas forcément spontanée, elle s'apprend, comme tout. "Personne ne naît humble non plus, c'est un comportement conditionné. L'humilité est un trait qui nous est enseigné. Mais elle peut très bien se transformer en ressentiment", alerte le site de business Life Hack. Gaffe.
Bien sûr, se dire que ne pas assez s'imposer revient à se faire écraser, ce n'est pas très optimiste. Et un brin cynique peut-être. Néanmoins, impossible d'évoquer l'humilité au travail sans en déduire que le regard que l'on porte sur soi est indissociable de l'opinion des autres. Et c'est bien souvent cela qui conditionne notre gestion du taf : on s'imagine naïvement que notre labeur parle pour nous. Et qu'épiloguer à ce sujet n'est pas nécessaire car au fond, nos compétences sont "normales", loin d'être remarquables. C'est faire fausse route.
"Si vous êtes trop humbles, personne ne connaîtra jamais votre valeur. Vous vous attendez simplement à ce que vos actions parlent pour vous. Or cette vieille façon de penser vous fait passer à côté d'opportunités", prévient à ce titre Life Hack.
Primo, attendre l'approbation d'autrui n'aide pas à mieux se connaître et s'émanciper au sein de votre entreprise. Secundo, il n'y a rien de très positif dans le fait de sacraliser l'opinion d'autrui, forcément lucide et juste. Tertio, vous limiter à cette opinion n'incite à en rien à développer vos ambitions pros, elle vous invite au contraire à vous satisfaire de ce que vous avez déjà. Plutôt contre-productif, donc.
Tellement d'ailleurs que bien des études s'en mêlent. Les recherches des groupes d'expertise Thomson Reuters et Women of Influence, relayées par le site de business Entrepreneur.com, affirment que "les femmes s'accrochaient encore à cette hypothèse dépassée selon laquelle leurs réalisations parleront d'elles-mêmes". Un réflexe qui les pousse à reléguer l'exercice de l'autopromotion au dernier plan, voire à le fuir.
Par-delà la vie de bureau, la modestie doit aussi être chassée de l'auto-entreprise. Quand vous lancez votre propre boîte, l'humilité mal placée est encore plus nocive. Comment séduire sa clientèle en minimisant les services que l'on propose ? C'est compliqué. Pour esquiver ce malus, des réflexes s'offrent à vous. Par exemple ? Adopter peu à peu ce que le média spécialisé Entrepreneur.com appelle "'l'affirmation positive".
En quoi cela consiste ? Simple. Quand quelqu'un vous complimente sur votre boîte, délaissez illico la fausse modestie, remerciez la personne de ses mots doux et répondez-lui sans épiloguer par l'affirmative ("Oui, je sais"), en ajoutant que les chiffres du mois sont effectivement bons, que les retours sont positifs et que tout cela vous encourage à poursuivre sur la même voie. Cette rhétorique fait toute la différence.
Et puis, elle est aussi un très bon antidote à l'autodépréciation maladive. Une façon comme une autre de (se) motiver et d'affirmer ses capacités de management.
On pourrait croire que l'arrogance est un défaut individualiste. Ce n'est pas tout à fait vrai - et il y a fort à papier que l'on servira volontiers ce discours aux femmes trop sûres d'elles. Non, la confiance est source de connaissances. Assumer ses aptitudes et son expérience permet, par la suite, de les partager au plus grand nombre. Et donc d'éveiller bien des esprits. Une démarche qui, nous rappelle Entrepreneur.com, peut prendre la forme de conférences, mais aussi de newsletters, de billets de blog, de publis sur vos réseaux sociaux...
Un partage qui profite à toutes : les grandes femmes dites "prétentieuses" d'aujourd'hui feront forcément celles de demain. Mais pour cela, encore faut-il délaisser des représentations trop patriarcales. "L'humilité est trop limitante pour celles qui souhaitent devenir des leadeuses, des porte-parole et des agentes de changement dans le monde", explique à ce titre Forbes. Changer le monde, un idéal qui se façonne sans chichis.