Insouciante vingtenaire d'origine kurde, Elaha est une jeune femme en quête de liberté. Seulement voilà : son mariage s'annonce, et tous les préparatifs qui vont avec. Un poids d'autant plus étouffant... Que la future épouse n'a que neuf semaines pour trouver un médecin qui procéderait à une reconstruction de son hymen. Et ce, afin d'être raccord aux traditions.
Portrait de femme, ce premier film de la cinéaste Milena Aboyan, 31 ans seulement, se fait également le manifeste alerte d'une génération tourmentée, tiraillée entre l'archaïsme indéniable des rituels parentaux - lesquels, étonnement, prennent bien souvent les femmes pour cibles - et une volonté très personnelle de modernité, en phase avec les dernières avancées féministes. Dans le rôle-titre, l'étonnante Bayan Layla redouble d'authenticité.
Son alias à l'écran se fait la voix d'une sidération. Et d'une indignation.
Comment s'émanciper d'un système patriarcal étouffant ? A travers son personnage-titre, et les conflits (intérieurs, et pas seulement) qui ponctuent le récit, cette oeuvre s'interroge, avec sensibilité et émotion. On pense ainsi à cette question rhétorique de la jeune femme, décochée fiévreusement lorsqu'on lui impose un examen médical, afin de "checker sa virginité" : "Je ne suis pas un produit qui doit être vérifié avant utilisation !", s'exclame notre protagoniste.
"Et si je n'ai plus mon honneur entre mes jambes ?", demandera-t-elle en retour à sa mère, dans l'attente angoissée d'une écoute qui ne vient pas. Qu'il s'agisse de "la perdre", ou de la "conserver", force est de constater que la virginité, cette sempiternelle construction socioculturelle, demeure encore une continuelle source de violences à l'égard des femmes.
Ainsi qu'une notion étroitement liée à une autre, tout aussi majeure, celle du consentement. Quelque part, un autre premier long métrage très remarqué, How to have sex, autre valorisation d'un regard féminin, se fait l'envers de Elaha : d'un côté la pression à faire l'amour, et de l'autre, l'impossibilité de faire quoi que ce soit avant le mariage. Deux témoignages d'une jeunesse cherchant à se réapproprier un corps, le leur, lequel se voit malmené, volé, violé. Deux films importants qui mettent en scène une agression sexuelle éprouvante.
En découle un récit très incarné aux questions intimes et politiques donc, d'autant plus que la cinéaste allemande Milena Aboyan outrepasse volontiers les enjeux de sexualité. La réalisatrice dépeint également son héroïne comme une prisonnière alourdie d'un avenir qu'on souhaite d'emblée tracer pour elle : la case imposée de la mère de famille avec enfants, qui, lui assure son futur époux, "aura la meilleure cuisine de toutes les mères kurdes !".
Une autre hantise.
Histoire d'un conflit générationnel, mais également d'une lutte individuelle, cette curiosité cinématographique détonne par le naturel de son actrice et la pertinence de son propos.
Elaha, de Milena Aboyan, Avec Bayan Layla, Derya Durmaz, Nazmi Kırık. Sortie le 7 février 2024.