Lydia Guirous : C’était également le cas il y a encore quelques décennies en France pour d’autres religions au modèle patriarcal : les femmes étaient réduites à leur hymen. Sur ce sujet, certaines religions et surtout leurs pratiquants ont su évoluer, d’autres non. Dans une certaine conception de l’Islam, la seule mission d’une femme en arrivant sur Terre est de préserver sa virginité jusqu’à ce qu’elle trouve un mari. Lorsqu’elle ne remplit pas cette mission-là, elle est mise au ban de la société. Ce que je dénonce, c’est ce côté très réducteur de ce qu’est une jeune femme et cette façon de faire porter l’honneur d’une famille entière à un si petit bout de chair. L’enjeu reste aujourd'hui encore l’entre-cuisse des jeunes filles, à l’origine des crimes d’honneur. Et c’est cette obsession qui crée les frustrations sexuelles : les jeunes filles sont contrôlées pendant que les jeunes garçons font ce qu’ils veulent, d’où la folie autour du corps de la femme, le harcèlement et ce corps qu’on essaye de cacher avec le voile, la burqa ou le niqab.
L. G. : Les mères sont essentielles. Certaines arrivent à s’émanciper, à s'extraire des traditions en étant complices de leurs filles, en les poussant à aller le plus loin possible dans les études pour aller vers plus de liberté. Et puis il y a les autres, celles qui transmettent docilement ce qui a toujours fait le malheur des femmes. Dans le cas de mariages forcés ou de l’excision, les mères sont présentes. Quant aux garçons, on les élève comme des rois parfois sans noblesse. Les mères doivent se battre avec leurs filles pour aller vers l’égalité hommes-femmes.
L. G. : Aujourd’hui, il y a une cassure au niveau des générations. Les précédentes étaient dans ce combat-là. Il y a un retour en arrière porté par des forces obscurantistes. L’Islam radical est prêché auprès des jeunes, qui obéissent au phénomène de mode. Certaines mères qui ont fait ce travail d’émancipation se retrouvent avec des filles de 15 ans qui portent le niqab et revendiquent leur liberté à se soumettre aux hommes en portant ce vêtement qui n’est pas un vêtement de musulmane mais d’islamistes, de salafistes. Les premiers niqabs sont arrivés en France il y a quinze ans.
Quand vous regardez les journaux aujourd’hui et qu’on y montre une femme musulmane, on la montre forcément couverte. Dans les années 80-90, on montrait une femme en jean, les cheveux libres. C’était une image positive. En montrant la Française de confession musulmane couverte, les médias instaurent cette image comme la norme. C’est extrêmement dangereux.
L. G. : Cela fait 30 ans qu’on est dans une forme de laxisme. Sous couvert de relativisme culturel et de culpabilité post-coloniale, on justifie toutes les atteintes à la laïcité et au droit des femmes. Quand la polémique sur la burqa est arrivée, NJB n’a jamais pris position contre. Il faut arrêter d’agiter le chiffon de la stigmatisation et du racisme pour ne pas traiter les sujets. Aujourd’hui, les intégristes commencent à gagner les bancs des facultés. En France, on a une vision de la société qui se doit d’être respectée, sans géométrie variable. La majorité des musulmans de France ne réclame pas le voile.
L. G. : C’est comme une secte : ils vous repèrent quand vous avez une fragilité dans votre vie et ils font de l’endoctrinement. Ces filles, tout d’un coup, ont l’impression de trouver une communauté. Ils vous chouchoutent, vous entourent, ne vous lâchent jamais. Vous avez sans arrêt des messages, des textos, des invitations, des trucs très rassurants. Une sorte de chaleur se met en place. Et puis, ils ont une telle maîtrise de la rhétorique, inventent des trucs, expliquent tout par des versets qu’on aurait mal compris.
L. G. : On peut être musulmane et féministe à partir du moment où on dépoussière une partie de l’Islam. Il est à la croisée des chemins et entrera dans le XXIe siècle si les femmes se révoltent. J’ai lancé un appel à la BBC pour que les musulmanes du monde entier retirent leurs voiles en signe de résistance aux religieux. Le voile, le fait de ne pas pouvoir s’habiller comme on veut, la virginité, la non-mixité… Il faut dépoussiérer cet Islam pour qu’il devienne compatible avec le féminisme. Mais on peut avoir soi-même fait ce chemin. Je suis musulmane, et je suis féministe.
* Allah est grand la République aussi,
par Lydia Guirous, chez JC Lattès.