Les faits présumés datent de 2008. A l'époque, "Julie" a 13 ans. Pendant deux ans, accuse-t-elle, elle aurait été violée par vingt pompiers de la caserne de Bourg-la-Reine (92). Un enfer qui aurait commencé alors qu'elle suivait un traitement médicamenteux lourd, son état nécessitant leur intervention à de nombreuses reprises (plus de 130 entre 2008 et 210).
L'un d'eux, Pierre, récupère son numéro de son dossier médical - où son âge est clairement indiqué - et entame un dialogue par écrans interposés, rapporte le journal britannique The Guardian dans un article détaillé. Il la bombarde de "messages affectueux", déclare Julie, puis lui demande de se déshabiller devant sa webcam. Lorsqu'elle accepte, il communique son numéro à un de ses collègues qui exige la même chose.
Pierre l'aurait violée à plusieurs reprises, affirme la jeune femme. Un après-midi de 2009, il l'emmène chez lui en uniforme. Elle a 14 ans et il la viole de nouveau, assure-t-elle, avant que deux autres pompiers n'entrent dans la pièce et fassent de même tout en regardant un film pornographique.
Ce n'est qu'en 2010 qu'elle sort du silence. Son traitement a été revu et, l'esprit plus clair, elle se confie à sa mère. Le 31 août de la même année, celle-ci porte plainte. Le début d'un long combat semé d'embûches et d'une injustice dénoncée, entre autres, par de nombreuses associations féministes.
Car sur les 20 pompiers accusés par la victime présumée, seuls les trois hommes présents au domicile de Pierre ont fait l'objet d'une enquête six mois après le dépôt de plainte, les 17 autres ne connaissant soi-disant pas l'âge de la jeune fille à l'époque. Deux des premiers ont reconnu avoir eu des "relations sexuelles en groupe" avec l'adolescente, un autre a avoué avoir eu un rapport sexuel dans les toilettes d'un hôpital parisien où Julie avait été admise, tout en affirmant n'avoir remarqué aucun signe de vulnérabilité chez l'enfant.
Initialement mis en examen pour "viol sur mineure", une infraction passible des assises précise l'AFP, le juge en charge de l'affaire depuis 2011 avait, en 2019, requalifié les faits en "atteinte sexuelle sur mineure de moins de 15 ans" et ordonné leur renvoi en correctionnelle. Une décision immédiatement contestée par la famille de Julie, qui fera une tentative de suicide dans la foulée.
Le 12 novembre dernier pourtant, la cour d'appel de Versailles a de nouveau rejeté la demande, concluant elle aussi que la victime présumée aurait consenti aux actes.
Dimanche 7 février, plus de 300 personnes se sont réunies place Saint-Michel, à Paris, rejoignant le collectif #JusticepourJulie afin de faire entendre leur colère face au verdict, leur soutien à Julie et à sa famille, et de demander à la Cour de cassation de requalifier en "viol" des faits présumés d'"atteinte sexuelle".
Parmi les personnes présentes, l'élue EELV parisienne Alice Coffin, pour qui cette affaire révèle "un système général, en l'occurrence ici de la justice, qui est complice de la culture du viol". "Je ne comprends pas qu'on puisse parler du consentement d'une jeune fille de 14 ans", dénonce à son tour auprès de l'AFP Cécile Jammet, manifestante de 28 ans.
Tou·te·s dénoncent un "déni de justice", une expression notamment employée par l'association féministe Les Effronté·es. Dans un communiqué en amont du rassemblement parisien, celle-ci expose d'ailleurs les raisons documentée de son indignation - et liste quelques coupables.
Les Effronté·es jugent ainsi "intolérable" la déqualification des crimes supposés, et épinglent aussi les interventions des forces de l'ordre et d'un expert auprès de Julie.
"Parce que l'interrogatoire (...) qui a été mené par la brigade des mineurs de Créteil est un honteux ramassis de culture du viol", peut-on lire sur leur site. "Parce que leurs questions, dont la tournure et les mots glacent le sang, étaient faites pour orienter les réponses de Julie, parce qu'il s'agissait d'un entretien à charge pour elle, à décharge pour les violeurs. Les policiers ont ainsi infligé une violence psychologique extrême à une enfant qui venait porter plainte et croyait trouver du secours auprès d'eux."
L'association poursuit, condamnant le psychiatre agréé de la Cour de cassation et ses procédés douteux : "Parce que la pseudo-expertise rendue par Paul Bensussan est un odieux condensé de poncifs patriarcaux, dont la justice devrait être aujourd'hui entièrement débarrassée, et qui continuent pourtant de plomber des procédures, et de faire des victimes les soi-disant complices de leurs propres souffrances, leur infligeant une deuxième peine et les frappant de honte."
Et conclut, fustigeant de nouveau le passage des chefs d'accusation de "viol" à "atteinte sexuelle" : "La décision qui en est résultée est un déni de justice pur et simple, nappé de stéréotypes sexistes garantissant l'impunité des 20 violeurs."
Des mots qui font écho à ceux de Marjolaine Vignola, l'avocate de Julie. "Tous les stéréotypes sur le viol sont présents dans cette affaire", lâche-t-elle. "Les juges et le psychiatre disent que Julie est une menteuse, qu'elle a consenti à avoir des relations sexuelles avec tous ces hommes, et qu'elle ment sur le fait d'avoir été violée parce qu'elle a honte".
En 2021 visiblement, alors que le débat autour de l'âge du consentement que nombreuses appellent à fixer à 15 ans fait rage, cette "honte" n'a toujours pas changé de camp.