La révolte gronde à Dacca, la capitale du Bangladesh. Les Bangladais·e·s protestent pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles que les femmes subissent au quotidien, et l'impunité dont bénéficient les agresseurs. Une colère qui couvait depuis plusieurs semaines, et qui s'est concrétisée dans la rue après deux crimes tragiques.
Le premier a eu lieu le 25 septembre, dans un quartier de Sylhet (nord-est). Sept hommes affiliés à la branche étudiante de la Ligue Awami, le parti au pouvoir, auraient agressé une femme alors qu'elle visitait le quartier du MC College avec son mari, puis traînée dans un dortoir avant de l'attacher et de la violer collectivement, pendant qu'ils battaient le conjoint.
Le deuxième, qui daterait du 2 septembre, a été filmé puis posté sur les réseaux sociaux le 4 octobre. La vidéo montre plusieurs hommes déshabillant et rouant de coups pendant 30 minutes une femme d'une communauté défavorisée dans le district de Noakhali, dans le sud du pays. "Ces images choquantes témoignent de la violence que les femmes endurent de manière courante au Bangladesh. Dans l'immense majorité des cas, le système judiciaire n'amène pas les responsables à rendre des comptes", condamnait le 8 octobre Sultan Mohammed Zakaria, chercheur sur l'Asie du Sud à Amnesty International, auprès de l'organisation non-gouvernementale.
Lors des manifestations tenues malgré de fortes moussons, les militant·e·s sont allé·e·s jusqu'à demander la démission de la Première ministre, Sheikh Hasina. Ces vives critiques à l'encontre du gouvernement, inhabituelles dans le pays selon l'agence de presse, témoignent d'une indignation sans précédent.
Si les accusés de Sylhet ont depuis été interpellés par la police et font l'objet d'investigations, Sultan Mohammed Zakaria d'Amnesty International analysait toutefois : "Les femmes au Bangladesh sont trahies par une justice pénale qui les expose à des risques accrus. Une réforme doit être mise en oeuvre sans attendre afin d'améliorer la manière dont les enquêtes sont menées sur ces affaires, de soutenir et protéger les victimes et les témoins, et d'accélérer les procédures judiciaires d'une lenteur affligeante".
Car les chiffres que divulgue Amnesty International sont consternants. Entre 2001 et juillet 2020, sur le total de cas enregistrés au titre de la loi du Bangladesh sur la prévention de l'oppression contre les femmes et les enfants, seuls 3,56 % ont débouché sur un jugement du tribunal, et seuls 0,37 % sur une condamnation, atteste le centre One Stop Crisis. Selon les Nations unies, en 2019, plus de 5000 viols ont été signalés et une adolescente a été brûlée vive pour avoir porté plainte. Malgré tout, environ 90 % des violeurs avoués ne subissent aucune conséquence juridique.
"Une enquête impartiale et approfondie doit être ouverte immédiatement et tous les auteurs présumés de cette agression brutale doivent être traduits en justice dans le cadre de procès équitables, sans recourir à la peine de mort", martelait encore l'expert en fin de semaine dernière.
Pourtant, lundi 12 octobre, c'est bien cette dernière option que le gouvernement bangladais a choisie, en annonçant rendre le viol passible de la peine capitale, et ce dès mardi 13 octobre, a déclaré à l'AFP le ministre de la Justice Anisul Huq. Jusqu'alors, son auteur était passible de la prison à perpétuité. Un décret approuvé lors d'une réunion de cabinet par la Première ministre Sheikh Hasina, sous pression y compris de membres de son propre parti.
Seulement cette décision est loin d'agir en faveur d'une véritable baisse de violences sexistes et sexuelles. Car avant d'être condamnés, encore faudrait-il que leurs auteurs soient poursuivis et jugés. Et les femmes crues.
"Cette étape régressive est un voile pudique qui détourne l'attention du manque d'actions réelles pour s'occuper de l'épouvantable brutalité que rencontrent tant de femmes bangladaises", lâche Sultan Mohammed Zakaria auprès d'Amnesty International. "L'exécution perpétue la violence, mais ne l'empêche pas. Au lieu de rechercher la vengeance, les autorités doivent se concentrer sur la justice à assurer aux victimes de violences sexuelles, y compris en mettant en place des changements de long terme qui arrêteraient cette épidémie de violence et éviteraient qu'elle recommence."
Pour l'expert, cela passe par "s'assurer que les femmes et filles bangladaises soient protégées et se sentent en sécurité lorsqu'elles dénoncent ces crimes. Les auteurs de crimes doivent être poursuivis et rendus responsables de leur action, l'impunité de ces crimes horribles doit cesser ; mais selon une procédure juste et sans le recours à la peine de mort ".
Depuis 2013, 23 personnes ont été pendues et le nombre de personnes attendant leur exécution s'élève à 1718 au moins, selon un groupe militant local.