"Normaliser la diversité des corps". C'est là le mot d'ordre de ce compte Instagram auquel l'on s'abonne sans hésiter : Historical Fat People - les personnes grosses "historiques". Le genre de livre d'histoire que vous ne lirez pas tous les jours. Et pour cause : photo d'archive après photo d'archive, on y voit les visages et silhouettes des personnalités et anonymes dont le physique a trop longtemps été jugé "hors normes". L'idéal pour dégager d'un revers de la main les remarques les plus grossophobes et rappeler une bonne fois pour toutes que "gros" n'est pas "un gros mot".
Et lorsque l'on vous dit "personnes", le terme est bien large. Au gré des centaines de publications de cette page, c'est la pluralité qui prime. Un portrait de l'iconique chanteuse country Patsy Cline côtoie celui de l'impératrice de Russie Élisabeth Petrovna. Pop culture oblige, Miss Piggy (alias Peggy la cochonne) partage l'espace numérique avec le couple de toons Petunia et Porky Pig. Hommes, femmes, enfants et adultes, d'hier comme d'aujourd'hui, investissent à l'unisson un réseau social trop souvent dédié aux corps minces et photoshopées. Et cela fait du bien.
Et ce ne sont pas les 35 000 fans de ce compte qui nous contrediront. Il faut dire que "Historical Fat People" captive par sa célébration généreuse d'une beauté aux mille visages, au carrefour des siècles et des arts. D'un clic à l'autre, on se met à contempler les nus insolites du peintre Fernando Botero, le regard troublant de la comédienne du cinéma muet Babe London, le sourire complice de l'acteur américain John Candy (Maman j'ai raté l'avion), ou celui, solaire, de la chanteuse Kate Smith. Les portfolios de "Historical Fat People" rendent autant hommage à la géniale Melissa McCarthy, star des comédies potaches qui cartonnent au box office US, qu'au travail exemplaire de tous les photographes qui, au fil des années, ont su mettre en lumière les messieurs et mesdames tout-le-monde victimes de "fat shaming".
"Mon intention est de montrer que les personnes grosses sont comme tout le monde. Certaines ont été des modèles et d'autres des tueurs en série", explique l'instigateur de ce compte, insistant avec ferveur sur sa volonté de "normaliser" celles et ceux qui furent - et sont encore perçus - comme des hommes ou des femmes "invisibles". Dans l'industrie musicale, par exemple, "certains gros artistes ont longtemps été relégués au second plan ou perçus comme un gag". Aujourd'hui cependant, le succès d'une icône comme Lizzo suscite l'espoir et corrige quelque peu cette évidente discrimination.
Cette page est donc un joli exemple s'il en est de ce que l'on appelle le "fat activism" : l'activisme en faveur des droits, de la visibilité et du respect des personnes grosses. Ce qui inclut évidemment la lutte contre la honte et les préjugés que l'on fait peser sur elles depuis des siècles. Bref, cette ode militante aux convictions body positive en jette, et nous rappelle soit dit en passant la manière dont l'on raconte et transmet notre Histoire - en étant influencés par les injonctions de beauté, qu'elles soient féminines ou masculines. Au risque d'exclure bien trop souvent de notre conscience les personnes grosses, même les plus inspirantes ou influentes, telle la mythique jazz-woman afro-américaine Etta James ou la poétesse féministe Gertrude Stein.
Car si les comptes "body positive" engagés fourmillent désormais sur Instagram (et pour notre plus grand bonheur), le besoin de représenter la diversité des corps ne date pas d'hier. Cette urgence répond à une expérience de l'histoire qui se compte en millénaires. C'est d'ailleurs ce que raconte l'instigateur du compte au site culturel Refinery29 : "Ce n'est pas s'il n'y avait eu aucune personne grosse par le passé, c'est simplement que nous ne les avions pas vus, ou bien rapidement oubliés. Les personnes grosses existent et ont toujours existé". CQFD. Si vous en doutiez encore, vous savez désormais sur quel site passer vos après-midi.