5 % des parents souffrent de burn-out parental et 8 % des parents sont des sujets à risques élevés, c'est-à-dire fortement susceptibles de basculer dans un état d'épuisement avancé. Mais comment se manifeste le burn-out parental au juste ? Nous avons interviewé Moïra Mikolajczak, co-auteure du livre "Le burn-out parental, l'éviter et s'en sortir" (éditions Odile Jacob) et professeur à la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation de Louvain en Belgique, afin qu'elle nous éclaire sur ce phénomène et les solutions pour en guérir.
Moïra Mikolajczak : C'est un syndrome composé de trois facettes.
Le premier facteur est l'épuisement, à la fois émotionnel et physique, à distinguer d'une simple fatigue dont on pourrait se remettre après quelques bonnes nuits de sommeil. Ici, l'épuisement est tel que la simple pensée de ce qu'il y a à faire avec les enfants est déjà éreintant.
La distanciation affective à l'égard de ses enfants est le deuxième point qui doit alarmer. C'est un mécanisme de défense vis-à-vis de l'épuisement. Le parent continue à faire ce qu'il faut (préparer à manger, délivrer les soins, etc.) mais n'a plus le courage de s'investir dans la relation ou dans l'éducation.
Enfin, la troisième facette est la perte d'efficacité et c'est une conséquence logique des deux précédentes. Le parent a généralement le sentiment d'être un mauvais père ou une mauvaise mère.
M. M : Il existait sans doute avant sans être précisément nommé. Mais la prévalence est sans doute plus importante aujourd'hui en raison de la pression accrue qui pèse sur les parents par rapport aux générations précédentes. Du temps de nos grands-parents, on demandait aux parents d'envoyer leurs enfants à l'école et qu'ils soient en bonne santé, c'est tout. Cette nécessité de rendre notre progéniture heureuse et de lui permettre de s'épanouir dans tous les domaines, à la hauteur de ses potentiels, n'existait pas du temps de nos grands-parents. C'est une charge énorme et paradoxale avec le fait qu'ils aient moins de temps pour assumer leur parentalité puisque de nos jours, de plus en plus de mères travaillent.
M. M : Oui, on peut supposer que toutes ces injonctions à la parentalité positive ont augmenté la pression sur les parents et ont donc participé quelque part au burn-out.
M. M : Il touche même davantage ceux qui ne travaillent pas. C'est là que l'on voit à quel point il se distingue du burn-out professionnel. D'autant qu'au travers nos études, nous nous sommes aperçus qu'il y a toute une série de gens qui sont en burn-out professionnel et pas en burn-out familial et vice et versa. Ce ne sont donc pas nécessairement les parents qui travaillent trop qui sont le plus sujets au burn-out parental. Au contraire, les prévalences les plus élevées se situent chez les parents qui ne travaillent pas ou à mi-temps. Sans doute se disent-ils qu'ils n'ont que ça à faire et ont tendance à se mettre une pression d'enfer pour devenir un père ou une mère parfaite, ce qui en fait d'excellents candidats au burn-out familial.
M. M : Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, les familles monoparentales ne sont pas plus touchées. Probablement parce qu'il y a des situations dans lesquelles les parents sont certes en couple mais que l'un des deux assume beaucoup plus de charges que l'autre. Et à l'inverse, que certaines familles monoparentales obtiennent davantage de soutiens par ailleurs (voisins, parents...). Enfin, conscients qu'ils sont seuls pour affronter la situation, les mères ou pères célibataires se mettent souvent moins la pression.
M. M : Cela augmente un peu entre un et trois enfants, puis les risques de burn-out diminuent au-delà de trois. Sans doute que les parents qui ne s'en sortent pas déjà avec trois, ne se lancent pas dans un quatrième mais aussi, probablement, parce que les parents qui ont cinq enfants reçoivent de l'aide de la part de leurs aînés.
M. M : Outre les trois symptômes spécifiques que sont l'épuisement, la distanciation affective et la perte d'efficacité, on constate chez la personne souffrant de burn-out un contraste entre l'avant et l'après. Si notre conjoint a toujours eu tendance à être fatigué ou ne s'est jamais vraiment intéressé aux enfants, il n'est pas en burn-out parental. En revanche, si l'on a le sentiment de ne plus reconnaître l'autre dans sa façon d'agir, qu'il n'est plus le parent qu'il était, c'est un signe qui doit attirer notre attention.
M. M : Cela peut très bien arriver dès la naissance de l'enfant. Si l'on a le sentiment d'être arrivée dans ses retranchements, d'être à bout de force, il faut y prêter attention. On observe aussi davantage d'irritabilité chez le conjoint ou bien ce dernier peut trouver un réconfort en buvant ou fumant davantage. C'est un ensemble de signes qui, mis bout à bout, doivent vraiment attirer l'attention. Les pensées suicidaires, le sentiment de se dire que si l'on passait plus de temps à son travail, ça irait mieux ou que l'on aimerait partir s'exiler au bout du monde sont aussi des signaux attestant que le burn-out n'est pas loin. Mais, à la différence du burn-out professionnel, on ne peut pas se mettre en congé maladie de ses enfants, même temporairement.
M. M : La première chose à faire est de dresser un bilan afin d'établir quels sont les facteurs de risques auxquels on est sujet (difficultés conjugales, problèmes de santé...) et d'autres part, les "protections" (aides parentales, bonne entente/soutien conjugal...) dont on bénéficie. Il s'agit de voir cela comme une balance que l'on doit faire tendre vers le positif car, plus on a de "protections" et plus on est en mesure de résister aux situations de stress. Pour aider les parents à y parvenir, nous avons lancé une application gratuite (Dr Mood Burnout parental) qui leur permet de faire ce bilan rapidement et de voir à quel point ils sont susceptibles d'être considérés comme "à risque" et de travailler ensuite sur les facteurs que l'on peut améliorer. Par exemple, apprendre à mieux gérer ses émotions, à diminuer son niveau de perfectionnisme parental ou encore rééquilibrer les tâches parentales.
Il est important aussi de faire le deuil, au moins temporairement, de toute une série de facteurs que l'on ne pourra pas changer. Evidemment que ce serait super si les grands-parents pouvaient être présents. Mais en même temps, s'ils habitent au bout du pays ou se fichent d'avoir des petits-enfants et qu'on a déjà tenté de les solliciter, il faut passer à autre chose.
A l'inverse, parfois, on n'ose tout bonnement pas faire appel à eux alors qu'ils seraient sans doute ravis de pouvoir garder nos enfants un soir par semaine pendant que nous prendrions un petit peu de temps pour nous. De même, si les devoirs virent toujours au casse-tête, peut-être qu'inscrire notre progéniture à l'étude pourrait constituer une bonne alternative, pour lui comme pour nous. Le but est de mettre du positif partout où c'est possible pour permettre d'atténuer ce qui ne l'est pas.
Enfin, certains parents ont tendance à se sacrifier pour leurs enfants. Ils détestent les puzzles ou la pâte à modeler mais se disent que pour développer la logique de leur enfant ou sa créativité ils doivent le faire quand même. En réalité, ils s'épuisent car ils n'apprécient pas ce qu'ils font. Il vaut donc beaucoup mieux choisir une activité moins éducative mais qui nous plaisent à tous les deux, par exemple mettre la musique en rentrant du travail et danser ensemble. Ce temps passé avec nos enfants n'est donc plus subi et éreintant mais, au contraire, ressourçant et tout le monde passe un bon moment.
Evidemment, si malgré tous nos efforts, on a le sentiment de ne pas s'en sortir, consulter un spécialiste peut être utile pour nous aider à remettre de l'ordre.
Le Burn-out Parental, l'éviter et s'en sortir, de Moïra Mikolajczak et Isabelle Roskam, Editions Odile Jacob, 19,90 euros.