Connaissez-vous le mikvé ? Il s'agit d'un bain rituel et "purificateur" indissociable de la culture juive. Les femmes juives orthodoxes sont censées s'immerger dans ce bassin après leurs menstruations en signe de "pureté" sexuelle et familiale. Mais cette tradition se retrouve confrontée à une impasse à l'heure de la pandémie mondiale : où s'immerger en temps de confinement ? comment faire honneur au mikvé en cette période exceptionnelle ?
Pour The Atlantic, c'est un véritable dilemme. Pire même, un "choix impossible" pour ces femmes pratiquantes, alors qu'un grand nombre de synagogues ont fermé leurs portes depuis des semaines, mesures sanitaires obligent, et que cette immersion serait synonyme de risques d'infection. Un dommage collatéral inattendu du coronavirus.
Un choix d'autant plus impossible, précise le média américain, que les mikvés sont des espaces "très fréquentés". Autant dire que les chances d'exposition sont énormes. C'est un certain nombre d'enjeux qu'induit ce contexte. Rappelons que selon la Torah, c'est suite à cette immersion rituelle que les femmes peuvent de nouveau entretenir des relations sexuelles avec leur conjoint, recommencer à s'embrasser et, même, dormir dans le même lit. Des actes ordinaires, mais tout à fait déconseillés en période "d'impureté", (terme utilisé par la religion) - c'est le passage au mikvé qui les autorise. Et pourtant, difficile de respecter ces restrictions en plein confinement.
Contre toute attente, le rapport que l'on entretient à la foi s'avère être l'une des victimes collatérales du coronavirus. Interrogée par The Atlantic, la mère de famille juive Aimee Baron fait part de son désarroi : après avoir malgré tout pu pratiquer cette immersion (en apportant sa propre serviette), elle en est ressortie angoissée. "Chaque fois que nous sortons, nous sommes tous pétrifiés de toucher, pétrifiés de respirer. Au mikvé, il y a mille surfaces (sur lesquelles je dois poser mes affaires) qui auraient pu être contaminées !".
D'un côté, la mise en danger évidente de sa santé, et de celle d'autrui. Mais de l'autre, un fait énoncé par la professeure Rivkah Slonim : "Nous ne pouvons pas, dans la loi juive, avancer en tant que communauté sans mikvé. L'immersion est un commandement qui vient directement de la Torah". L'espace d'une tribune, l'érudite s'adresse aux principales concernées et exprime son ressenti : "En ce moment, je n'ai pas vraiment envie d'être "juste", je veux juste me réveiller de ce cauchemar. Rien de tout cela n'est facile, pour personne. Pour un million et une raison. Et peut-être, surtout, parce que nous n'avons aucun contrôle, de mille et une façons. La seule chose que nous pouvons contrôler est notre attitude face à ce défi".
Suite à la fermeture globale des synagogues, Rivkah Slonim aime à rappeler que le judaïsme est avant tout "une communauté confessionnelle à domicile". Comprendre, le foyer reste "le saint temple" et la femme juive "la grande prêtresse". Cependant, déplore encore l'oratrice, "il n'est pas permis à un couple d'être intime sans que la femme ne plonge dans le mikvé". Face à cela, de nombreuses communautés à travers le monde ont donc décidé de garder leurs mikvés ouverts. La femme rabbin et bioéthicienne Lila Kagedan, qui officie à New York, tente tant bien que mal de concilier mesures sanitaires, distanciation sociale et respect de la loi juive, notamment en encourageant l'usage insistant de produits désinfectants à l'égard des surfaces du bain.
D'autres rabbins affirment encore "changer l'eau" des bains régulièrement. Des actes pas forcément si rassurants, d'autant plus quand celles qui s'y adonnent souffrent déjà de vrais problèmes respiratoires. C'est donc une anxiété tenace qui accable les communautés souhaitant faire honneur à "la parole de Dieu". De son côté, Rivkah Slonim décoche ses recommandations : apporter sa propre serviette, garder ses distances avec autrui, toucher le moins de surfaces possibles, se laver les mains avant et après immersion.
Néanmoins, Lila Kagedan le confesse sans détour : "Je ne peux pas dire qu'il n'y a aucun risque". Une préoccupation ouvertement partagée par la professeure juive Atara Segal, pour qui la principale alternative à ces espaces rituels (à savoir, l'immersion dans l'océan) n'a rien de plus sûr : "A ce stade de la pandémie, nous ne savons rien sur la relation entre le virus et l'océan", déplore-t-elle. Avant d'ajouter : "Il y a un vrai danger".