L'hyperconnectivité et les progrès technologiques ont profondément bouleversé la structure du monde du travail : alors que c'était un lieu fixe et établi qu'on lassait derrière soi jusqu'au lendemain à chaque fois qu'on claquait la porte à 19h, notre bureau est devenu aussi mobile que notre smartphone, capable de se glisser dans nos poches, de s'inviter à nos repas de famille et de s'immiscer sur nos tables de chevet.
Entre les appels, les SMS, les emails professionnels et les tweets, la possibilité d'être joignable à tout moment s'est doucement muée en une contraignante obligation, rendant la limite entre la sphère professionnelle et la sphère privée dangereusement poreuse.
C'est pour faire face à ce phénomène que le droit à la déconnexion a été voté dans le cadre de la loi Travail. Entrée en vigueur le 1er janvier, cette législation a pour but d'empêcher que le travail contamine nos vies privées par le biais des outils numériques. Une loi qui fait figure de grande première mondiale et s'attaque enfin à un phénomène désormais bien connu mais encore trop sous-estimé : l'épuisement professionnel, ou burn-out.
C'est désormais officiel : depuis lundi matin (2 janvier 2016), vous avez le droit de raccrocher au nez de votre patron lorsqu'il vous appelle à 20h30 pour vous parler d'un dossier urgent ou d'ignorer les emails de vos collègues pendant vos vacances. Le droit à la déconnexion figure désormais dans l'article L2242-8 du Code du travail et devra être appliqué par toutes les entreprises de plus de 50 employés.
Et il était temps, comme le démontrent les chiffres de l'enquête commandée par le Ministère du Travail : 37% des actifs utilisent chaque jour leurs outils numériques professionnels en dehors du travail, et 62% des salariés français, dont une très large majorité de cadres, réclamaient déjà en 2015 une régulation de l'usage de ces outils en dehors du travail. L'hyperconnectivité des employés est un véritable enjeu de la santé publique, que l'on peine encore à prendre au sérieux : elle est pourtant à l'origine de la forte augmentation du nombre de cas d'épuisement professionnel , qui touche désormais plus de la 12% de la population française active (mais qui malgré cela, n'est toujours pas reconnu comme maladie professionnelle à part entière).
C'est en effet une immense source de stress pour les employés, qui peinent à se ménager de véritables temps de repos ou sas de décompression, puisqu'ils sont en permanence bombardés de notifications push, d'emails professionnels et d'appels intempestifs sur leur temps libre. Comme ils ne peuvent pas "décrocher", ils ont la sensation de se noyer sous leur charge de travail, qui ronge progressivement tous leurs moments de détente et de loisir. Quand les salariés sont hyperconnectés, le travail est omniprésent, ce qui sur le long terme, nuit à leur santé comme à leur bien-être mental. Le droit à la déconnexion a pour but de briser ce cercle vicieux en rétablissant un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, en redressant la barrière qui les séparait - pour notre plus grand bien.
En ce qui concerne l'application de ce droit à la déconnexion, le Ministère du Travail incite les entreprises à négocier avec leurs employés. "La loi n'exige pas d'éteindre son smartphone professionnel en rentrant chez soi ni pour l'entreprise de couper les serveurs à 18 heures. Ce ne serait pas adapté à une entreprise qui travaille à l'international", explique Patrick Thiébart, avocat associé au cabinet Jeantet, au Figaro. "Il n'y a pas de mode d'emploi précis. Aux entreprises de trouver des solutions sur-mesure".
La législation n'impose donc pas de mesures précises aux entreprises mais en instaurant ce droit, le gouvernement donne le droit aux employés d'éteindre leurs téléphones et de désactiver leurs boîtes mail le soir, les weekends, les jours fériés et durant leurs congés, tout en les protégeant d'éventuelles remontrances : les entreprises n'ont absolument pas le droit de sanctionner leurs employés pour un manque de réactivité en dehors de leurs heures de travail, et la sécurité de l'emploi est garantie. Si une entreprise nécessite une certaine disponibilité de la part d'un salarié en dehors de ces heures de travail, elle doit entamer une négociation entre les organisations patronales et les syndicats professionnels afin d'établir un accord qui convienne aux deux parties.