Ouverte au public depuis le 28 mai dernier au Musée du Jeu de Paume, l'exposition Foyer Fantôme de la photographe palestinienne Ahlam Shibli provoque le débat. L'artiste est accusée de faire l' « apologie du terrorisme » en mettant en scène, dans l'une de ses séries de photographies, la représentation de martyrs palestiniens. Réalisée à Naplouse, en Cisjordanie, la série « Death » est composée de 68 clichés qui montrent comment les Palestiniens honorent, à travers les affiches, des graffitis ou des portraits de famille, ceux qui ont laissé leur vie dans le conflit contre Israël, sont portés disparus ou en détention. Une démarche artistique qui n'est pas du goût d'associations juives, qui ont saisi la ministre de la Culture Aurélie Filippetti le 5 juin dernier, mais aussi de groupuscules terroristes néosionistes, qui menacent maintenant la vie d'Ahlam Shibli.
Accusée de faire le jeu des terroristes, qu'elle présente systématiquement comme des « martyrs » de la cause palestinienne, la jeune photographe a, depuis le début du mois, reçu de nombreuses menaces de mort. De nombreux militants sionistes lui ont ainsi adressé, ainsi qu'à la direction du Musée du Jeu de Paume, des mails, des lettres et des appels téléphoniques dans lesquels ils tiennent des propos clairement menaçants. Marta Gili, la directrice du Jeu de Paume à Paris, a ainsi expliqué aux Inrocks que les menaces étaient émises hors de nos frontières, par des individus qui n'avaient même pas vu l'exposition : « Les menaces de mort proviennent de groupuscules néosionistes français mais aussi internationaux, les deux tiers des lettres proviennent des États-Unis. On a affaire à des exaltés, conditionnés depuis leur enfance, qui n'ont pas vu l'exposition mais qui y voient ce qu'ils veulent bien y voir. Tout cela fonctionne sur un principe de bouche-à-oreille. »
Signe que les menaces sont toutefois prises au sérieux, le musée a dû fermer en catastrophe à deux reprises, après que des alertes à la bombe eurent été déclenchées les 14 et 18 juin derniers. Face aux dangers que représente l'exposition, pour la photographe, mais aussi pour le personnel du musée et les visiteurs, Marta Gili a dit s'interroger sur la possibilité d'écourter la durée de l'exposition, prévue initialement jusqu'au 1er septembre : « Toutes les expositions donnent lieu à des débats, à des échanges avec le public, nous répondons à chaque lettre. Un centre d'art est un lieu de discussions mais là il s'agit d'autre chose », a-t-elle estimé.
Si l'exposition a suscité de nombreuses menaces de morts, elle a aussi déclenché la colère des associations juives de France. Celles-ci se sont notamment exprimées à travers le Crif (Conseil représentatif des organisations juives de France) et par la bouche de son président, Roger Cukierman. Dans une lettre adressée le 5 juin à la ministre de la Culture Aurélie Filippetti, il dénonce « l'apologie du terrorisme » que constitue le travail d'Ahlam Shibli, accusée de présenter en « martyrs » les Palestiniens morts sous le feu israélien. De son côté, le ministère de la Culture tente d'apaiser les esprits et a promis de réclamer au musée des éclaircissements sur le message de la photographe. Aurélie Filippetti souhaite notamment que le public soit mieux informé par davantage de détails que ceux jusqu'ici indiqués sur les cartels rédigés par Ahlam Shibli. Une décision qui semble loin d'être suffisante pour les associations juives : à l'initiative de l'Association France-Israël, une manifestation de protestation s'est tenue devant le musée le 16 juin.
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