Anna est une actrice qui approche le cap tant redouté de la cinquantaine. Bien que monotone, sa vie bouscule le jour où son époux Antoine, metteur en scène de théâtre, lui préfère une autre - plus jeune - afin d'incarner sur scène un rôle qui lui est cher. Choix qui précède de peu leur séparation. Afin de renouer avec son conjoint, et de reprendre le contrôle sur sa vie, la comédienne va se procurer une curieuse potion aux vertus surnaturelles...
Il y a des films qui tombent le jour juste. Comme une actrice, premier long de Sébastien Bailly, est sorti en salles le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes. Date qui compte beaucoup aux yeux de son actrice principale, habitant cette oeuvre de sa présence spleenétique : Julie Gayet. Eclose au cinéma devant la caméra de la grande Agnès Varda, cofondatrice de la maison de production Rouge International (à qui l'on doit le Grave de Julia Ducournau), productrice d'un doc' sur les joueuses de l'Equipe de France...
Si l'engagement féministe de Julie Gayet n'est plus à prouver, cette sensibilité se répercute fortement dans cette oeuvre au pitch envoûtant - armée d'une potion, notre héroïne peut se métamorphoser en n'importe quelle autre femme, jeune de préférence - et qui au fil de son évolution abordera bien des enjeux qui nous sont chers... En touchant très souvent juste.
Que nous raconte Comme une actrice ? Les pressions et injonctions que subissent actrices et comédiennes d'abord, des caméras aux planches, lorsqu'un phénomène pointe pernicieusement le bout de son nez : l'âgisme. L'âgisme, c'est cette stigmatisation que subissent les personnes et plus encore les femmes une fois atteint le cap de la cinquantaine. Cette impression d'être mise à l'écart : de devenir une femme invisible, littéralement.
Plutôt que femme invisible, Anna devient une créature mythologique, épousant en quelques gouttes les formes de toutes celles alentours. Une allégorie de la quête de jeunesse, de la "beauté fatale", pour paraphraser l'essai de Mona Chollet dédié à l'industrie de la mode et "aux nouveaux visages de l'aliénation féminine". Les visages, notre protagoniste en a mille, tant et si bien que son choix d'être une autre altère considérablement son identité propre (au nom d'un amour qu'elle cherche à ranimer) mais aussi... Magnifie son talent d'actrice.
Car ce pitch d'une héroïne pouvant multiplier les apparences, s'il renvoie à demi-mot à la chirurgie esthétique et aux diktats qui en sont la source, est également une métaphore de l'art de l'interprète, qui va faire de sa vie une vaste loge où elle se maquillerait pour jouer, chaque jour, un rôle différent.
C'est ce qui rend le personnage d'Anna si complexe et authentique : se sacrifiant totalement à cette intrigue surnaturelle (absorber la potion détruit peu à peu son corps), elle n'en est pas moins puissante, déterminée, maîtresse du jeu, redécouvrant au fur et à mesure sa force, ses convictions, mais aussi son propre désir - cette magie lui permettant d'accumuler les "flirts"...
Une oeuvre riche donc, portée par une Julie Gayet éblouissante de mélancolie, déployant une partition qui le fait osciller en un clin d'oeil de l'amante passionnée... A la sorcière des temps modernes, autre grand motif s'il en est des féminismes modernes. Difficile de ne pas être envoûté.