Ophélie Winter écrit comme elle parle. Avec rythme, humour, franchise. Même lorsqu'elle pose sur le papier, en collaboration avec Pauline Bonnefoy, des moments de son parcours particulièrement douloureux. Dès les premières pages, elle prévient d'ailleurs : "Des anecdotes folles, exubérantes, tristes ou émouvantes, à l'image de ma vie si riche d'expériences, j'en ai des milliers en stock ; je pourrais en tirer des mémoires en dix-huit volumes. Mais comme il faut bien commencer quelque part, je vous livre ici le récit qui constitue le nerf de cette existence particulière : celui de ma résilience, cette force qui m'a tenue debout à travers les tempêtes du destin".
Résilience. Le titre de l'ouvrage, et le mot qui résumerait au mieux ce qu'elle a choisi de nous partager, depuis l'île de la Réunion où elle s'est confinée. Ou plutôt, cette force mentale qui lui a permis de ne pas sombrer. "Si cette histoire vous touche, libre à vous d'en demander plus", incite-t-elle encore. Justement, elle nous a touché·e·s, cette histoire. Par son authenticité, ses lignes tranchantes, sa noirceur à bien des aspects. Et derrière, la façon dont celle qui la raconte a de réussir à lui insuffler un sentiment d'espoir.
Sur les plateaux de la promo, d'On est en direct de Laurent Ruquier à Quotidien sur TMC, la chanteuse et ex-animatrice évoque considérer ces pages comme un sac de parpaings dont elle se serait libérée. Aujourd'hui, à 46 ans, elle respire. Elle se sent plus légère. Entre bilan introspectif et exutoire, Résilience incarne une autobiographie détaillée à la chronologie rigoureuse, dans laquelle on se plonge volontiers. Aperçu.
La célébrité n'a jamais été un rêve. A la place, Ophélie Winter, fille du chanteur hollandais Alexandre David Winter et de Catherine Fefeu, voulait vivre sur une île. "Tranquille". Seulement, sa mère en décide autrement. Et bien trop tôt pour que la fillette ne puisse s'y opposer. "Cette ancienne mannequin aux jambes longues et à la carrière courte m'a traînée de casting en casting dès mes six ans", signe la chanteuse. "Franchement, j'appelle ça du tapinage artistique".
A l'âge où ses camarades de classe de Neuilly-sur-Seine prennent leur goûter devant la télé, elle, est poussée par sa "génitrice" pour se frayer un chemin sur le petit écran. Elle finit par enchaîner les performances, les scènes dans des tenues qu'elle déteste (époque Poil de carotte) et retourne le lundi matin à l'école, faisant frais des moqueries des autres élèves. Des critiques qui l'atteignent mais qu'elle finit par laisser glisser, se forgeant un caractère de "mercenaire en culotte courte".
En parallèle, sa momager qu'elle nomme du bout des lèvres (et dont elle ne veut plus parler aujourd'hui) lui fait payer l'abandon de son père alors qu'Ophélie et son frère Michael n'étaient qu'enfants. "Je ne me sentais pas responsable de sa conduite, mais je me sentais en devoir de la racheter". Et fait grandir en elle une méfiance - voire une haine - des hommes. Un dur apprentissage qui va façonner sa quête d'indépendance. Financière et émotionnelle.
A 16 ans, elle est foutue à la porte de leur petit appartement, logé dans la ville huppée des Hauts-de-Seine pour maximiser leurs fréquentations avec les grosses fortunes du pays. Un soir, sans crier gare, pour une histoire de cuillère qui manque dans le tiroir (Ophélie Winter avait fait une soirée pendant l'absence de sa mère, seul ce détail qui l'a trahie), la jeune fille se retrouve à dormir sur le palier.
S'en suivent des mois entre sa voiture et l'appartement d'Anna, la mère de son meilleur ami. Et puis, à 17 ans, une rencontre qui change sa vie. Prince. Le roi du funk tombe fou amoureux d'elle. Un coup de foudre qui la transporte au sommet des paillettes hollywoodiennes - elle se fera même passer un savon par Whitney Houston pour un quiproquo mordant.
Leur relation dure quatre ans, et prend des airs de Pygmalion qui modèle son étoile, "façon Frankenstein des années funk". Devant l'ambition de la Française et son envie indécrottable de s'émanciper par elle-même, Prince lui suggère une idée : le "plan quinquennal", comme elle l'appelle. Un programme sur 5 ans dédié à la faire percer dans le mannequinat, puis à la télé. C'est l'impulsion qu'il lui fallait pour prendre confiance en elle, et y arriver.
Elle débarque quelques mois plus tard à la présentation du Hit Machine, sur M6, avant de s'essayer au cinéma et de sortir le tube qui finira platine : Dieu m'a donné la foi. Cette foi inébranlable qui lui permet de tenir lorsqu'elle fait face aux bourreaux de sa vie.
Un autre titre, moins connu, révèle des événements tragiques. Elle pleure aborde l'inceste dont a été victime la chanteuse pendant son enfance par son oncle, le frère de sa mère atteint de handicap mental et moteur, à qui on n'avait pas inculqué "le bien et le mal, le permis et l'interdit". Des crimes contre lesquels celle-ci ne l'a pas protégée, qui ont aussi touché son frère, a-t-elle appris il y a à peine une décennie. Comme des millions de familles.
"Aujourd'hui, alors que nous assistons à une libération de la parole avec le #MeTooInceste, je suis horrifiée de découvrir à quel point ce crime est fréquent, et à quel point il peut gâcher la vie de celles et ceux qui l'ont subi", déplore-t-elle. Ophélie Winter appelle à ne plus se taire. "Si énorme soit le traumatisme, c'est une victoire de plus pour l'agresseur si la victime se laisse dévorer par le secret".
La libération de la parole, la sienne en tout cas, s'opère également autour des relations toxiques qui ont rencontré son chemin. Avec un dénommé "C.", qui ne serait autre que le rappeur MC Solaar. Ou encore, en épinglant le traitement médiatique qui lui a été réservé. Un harcèlement nocif qui, après un burn-out et un diagnostic d'une névralgie d'Arnold (maladie qui a paralysé son corps et son visage, ndlr) a bien failli lui causer un accident de la route fatal. Et n'est pas sans rappeler celui subi par d'autres icônes de sa génération. Britney Spears, Loana, Paris Hilton... Le point commun ? Des femmes que l'on étiquette "bimbo" comme un terme réducteur et péjoratif.
"Ce livre, c'est faire un point, tourner une page sur une période de ma vie et montrer aux gens qu'on peut se sortir de plein de problèmes avec la résilience", lâche-t-elle à Laurent Ruquier. Et sortie, elle s'estime l'être enfin. La preuve en introduction, à quelques paragraphes de livrer sa vérité.
"Je n'ai jamais été aussi sereine", y affirme Ophélie Winter. "Il m'aura simplement fallu traverser l'équivalent émotionnel de cinq vies, gagner et perdre des millions, tutoyer les stars, m'écorcher la santé, couper les branches pourries de mon arbre généalogique, survivre à des trahisons shakespeariennes et remettre en cause toutes mes croyances pour connaître cette expérience. Couler des jours tranquilles. Sur une île." On les lui souhaite nombreux et paisibles.
Résilience : Retour sur un destin hors du commun, d'Ophélie Winter avec la collaboration de Pauline Bonnefoy. Editions Harper Collins. 19,00 €