Elles se disent nationalistes, se revendiquent d'un "féminisme blanc", d'un "féminisme occidentaliste" ou "identitaire", fustigent les prises de position du néoféminisme (terme apparu au milieu des années 90) ou du "féminisme conformiste", quand certaines ne rejettent tout simplement pas le terme de "féminisme", et les avancées sociales qu'il suppose depuis des décennies de combats.
"Elles", ce sont les "nouvelles femmes de droite" - une droite radicale. Qualificatif que la chercheuse au CNRS Magali Della Sudda, dans son exigeante étude éponyme parue aux éditions Hors d'atteinte, rapporte aussi bien à des figures intellectuelles médiatiques (comme la journaliste Eugénie Bastié) qu'aux groupes de militantes dont les actions circulent davantage lors des manifs et sur les réseaux sociaux : le collectif Némésis, les Antigones, les Caryatides...
Spécialiste de science politique et de socio-histoire, Magali Della Sudda a dédié de nombreuses années à décrypter ces mobilisations dont les principes et valeurs s'opposent - notamment suite à la révolution #MeToo - ou se complètent - dès qu'il s'agit de dénoncer les supposés méfaits de l'immigration extra-européenne.
Ouvrage pointilleux et vaste, Les nouvelles femmes de droite revient sur leurs origines, leur fonctionnement, ce que leur évolution raconte du paysage politique actuel, mais aussi leurs contradictions et limites - nettes, lorsqu'il est question de sensibiliser leurs pairs aux violences faites aux femmes.
Une lecture des plus nécessaires en cette période électorale où les figures de droite et leur rhétorique vrillant volontiers à l'extrême sont particulièrement mises en avant. Rencontre avec son autrice.
Magali Della Sudda : L'arrivée de la Manif pour Tous en 2012 était un moment extraordinaire de mobilisation des droites dans la rue, mais aussi sur la Toile. Une période qui a offert à bien des femmes l'opportunité d'assumer des positions de leadership. On pense notamment à Frigide Barjot, leader de l'association Manif pour tous, mais aussi à Ludovine de la Rochère, cofondatrice et présidente de la Manif pour Tous depuis 2013, ou encore à Béatrice Bourges, porte-parole du groupe plus radical du Printemps français...
Ensuite adviendront des mobilisations comme la Marche pour la vie, association anti IVG aux nombreuses paroles féminines, mais aussi les Identitaires (courant politique porté par le groupe des Identitaires, constitué de Génération Identitaire, organisation de jeunesse dissoute en 2021, et du Bloc Identitaire), qui va donner un nouveau visage aux droites radicales. Tandis qu'au RN (alors FN) Marine Le Pen va prendre les devants, notamment sur la question du genre.
Dans le sillage des premières mobilisations de 2012, on a également pu voir apparaître des mouvements nationalistes et non-mixtes de femmes à droite, comme les Caryatides à Lyon (en 2013), qui se revendique "antiféministe", et les Antigones à Paris, apparues la même année. Ce sont des jeunes femmes de droite urbaines, diplômées, qui ont bousculé les codes des luttes contre les féministes.
En outre, je pense que bien des hommes politiques face à la Manif pour Tous se sont dit "c'est notre moment", que cela ne pouvait rester sans actions sur le plan électoral, mais que pour réussir aujourd'hui en tant que parti, on ne pouvait pas ne présenter que des hommes – la contrainte de la parité étant très forte. C'est en partie ce qui a expliqué que ces militantes ont pu avoir d'autant plus de visibilité au sein d'une scène très conservatrice.
MDS : Tout à fait. L'une des spécificités des droites c'est qu'elles ont toujours été des précurseuses de la communication politique. Cela se constate par exemple en 2011 avec la création du webzine conservateur identitaire Belle & rebelle, aux valeurs "féminines mais pas féministes", et qui est venu renverser les codes du militantisme en ligne, inaugurant ce à quoi l'on assiste aujourd'hui.
Autour de 2015 et 2016 on a vu apparaître des youtubeuses et influenceuses comme Virginie Vota, qui revendique une féminité très traditionnelle, catholique, et se considère comme antiféministe, ou bien Solveig Mineo, créatrice du site collectif Bellica, militante féministe occidentaliste [Magali Della Sudda définit le féminisme occidentaliste comme un courant politique "étroitement associé à l'affirmation de la suprématie occidentale et blanche, qui propose une conception du sujet politique féminin indissociable de son identité occidentale", ndlr], quant à elle favorable au droit à l'avortement et à la PMA.
Quand il est question de mobilisation numérique, on pense également au collectif féministe identitaire et anti-immigration Némésis, créé en 2019, dont les actions de rue spectaculaires sont toujours prêtes à être filmées/postées sur les réseaux sociaux. Collectif qui bénéficie d'une présence dans des émissions de télévision comme Touche pas à mon poste – sa créatrice Alice Cordier y est chroniqueuse.
MDS : Hormis leur implication sur les réseaux sociaux, je dirais leur opposition aux féministes. Pas nécessairement au féminisme en tant qu'idéologie, mais à la manière dont il se décline sous ses formes libérales ou radicales contemporaines. Toutes ces nouvelles femmes de droite ont par exemple fustigé le mouvement des Femen. Les Antigones notamment sont directement nées en réaction aux Femen.
Elles sont aussi unanimement mobilisées contre les politiques d'égalité et de genre, qui ont pour visée de faire avancer l'égalité de droit entre hommes et femmes, mais aussi, entre les différentes sexualités. Ce dernier point déstabilise particulièrement les identités sexuées, l'ordre social fondé sur la distinction entre masculin et féminin, et la hiérarchie qui préside à cette distinction. Elle s'y opposent donc formellement.
Mais il y a effectivement un éventail d'options possibles à travers ces profils. D'une vision de la communauté politique comme étant essentiellement fondée sur un critère ethno culturel voire ethno racial, chez les Caryatides notamment, à l'affirmation d'une appartenance à une civilisation et au rejet des groupes de personnes n'appartenant pas à cette civilisation. C'est le principe du féminisme identitaire, qui va affirmer que le premier problème des femmes n'est pas le patriarcat, mais l'immigration extra-européenne.
Ou encore, des structures partisanes, à celles qui privilégient avant tout un "engagement de plume", intellectuel et philosophique, comme le propose l'autoproclamée "féministe intégrale" écolo-conservatrice Marianne Durano dans la revue Limite (revue écoféministe), ou Eugénie Bastié dans les pages du Figaro. Toutes deux ont partagé les mêmes rédactions, et ont pour habitude de fustiger le féminisme d'aujourd'hui en se référant au féminisme d'hier.
On trouve aussi bien au fil de ces groupes des personnes tout à fait insensibles aux enjeux écologistes, comme au sein du Rassemblement national ou des Identitaires, que des militantes qui se disent ouvertement sensibles à cette cause, comme les Antigones ou Marianne Durano, qui pensent conjointement la cause des femmes et celle de la nature, mais s'opposent cependant aux militantes écoféministes progressistes.
MDS : C'est un bon élément de réponse ! Elle s'opposent fermement au fait de dire qu'interrompre une grossesse non désirée est un droit inaliénable des femmes. Avec des nuances cependant.
Certaines vont dire que ce n'est pas un droit, mais qu'il faut que cela reste une possibilité dans certains cas.
D'autres, à l'inverse, diront qu'on oblige les femmes à avorter et que le Planning Familial ferait de la propagande dans les lycées. L'opposition à l'IVG se présente alors moins sous une facette morale qu'à travers un argument démocratique. Certaines voix prétendent encore qu'on prive les femmes de leur capacité à agir et de leur autonomie en brandissant le choix de l'IVG.
Les Antigones émettent un autre argument : l'IVG serait une "violence physiologique" faite aux femmes, interrompant un processus en cours, traumatisant le cours et l'esprit par des traitements chimiques. Elles insistent davantage sur la santé des femmes.
MDS : Oui, c'est une spécificité consciente et stratégique de la rhétorique réactionnaire : reprendre les termes progressistes pour conférer un aspect désirable voire plus moderne à un projet politique réactionnaire.
MDS : Tout à fait, j'ajouterais d'ailleurs à cette liste l'enjeu de la santé des femmes. Outre-Atlantique, dès les années 70, des militantes féministes dites radicales se mobilisaient déjà afin d'aborder sur la place publique les effets secondaires de la pilule contraceptive. Non pas pour l'interdire, mais pour prévenir de la perturbation endocrinienne, incitant à l'ajustement de la contraception selon ses besoins.
Or, cet argument est désormais repris par des femmes catholiques, avec une rengaine façon "on vous l'avait bien dit", érigeant la pilule en poison.
MDS : Tout dépend des cas en vérité. On aura tendance à ne voir effectivement qu'un usage opportuniste du féminisme à travers certains groupes. Mais ce n'est pas seulement stratégique.
Bon nombre de ces militantes ont été socialisées dans un monde où l'égalité est la norme. Pour certaines d'entre elles, comme le collectif Némésis, les violences faites aux femmes sont inacceptables. Quel qu'en soit l'auteur. Sauf que, pour elles, la majorité de ces auteurs, justement... sont des hommes issus de l'immigration africaine ou des musulmans. C'est ce dernier élément que toutes les féministes ne partagent évidemment pas.
En outre, au sein de ce milieu, aborder un enjeu comme celui des violences n'est pas sans risques. En décembre 2021, l'instigatrice du collectif Némésis Alice Cordier, était agressée par un influenceur d'extrême droite, et ce dernier se serait justifié en disant : "Elle a fait sa féministe". Comme un argument pour la faire taire, comme si le féminisme était une provocation. Cela démontre qu'il n'est pas simple dans les milieux nationalistes de revendiquer certaines luttes ayant trait au féminisme.
MDS : Certains nationalistes demeurent profondément marqués par le sexisme, une forme de masculinité traditionnelle en dehors et au sein du mouvement, et ne veulent pas, en guise de militantes, autre chose que des partenaires soumises.
Cela nous en dit également long sur l'usage stratégique des profils féminins au sein de certains mouvements qui souhaiteraient se faire plus respectables en mettant les femmes en avant... mais sans pour autant leur accorder une meilleure place dans la hiérarchie.
MDS : Je pencherais davantage pour la deuxième option... Pour certains, cela fait ouvertement partie de leur projet politique, de l'organisation sociale qu'ils défendent en tant que militants.
L'organisation de leurs mouvements a également des effets sur le plan individuel. Les hommes se construisent ainsi selon une certaine vision du monde, très marquée par des identités sexuées fortes. Une vision qui est également très hiérarchique.
MDS : Quand Valérie Pécresse a été désignée pour être candidate LR à l'élection présidentielle 2022, il me semblait à titre personnel que c'était la seule qui pouvait permettre pour la première fois à une femme d'être élue présidente de la République. Car dans l'histoire de la politique occidentale, force est de constater que ce sont généralement les femmes conservatrices qui sont parvenues à obtenir ce rôle.
Pourquoi ? Car elles assurent qu'elles ne vont pas bouleverser l'organisation symbolique qui préside au champ politique. Cela étant dit, le point que vous soulevez pose effectivement question. Enquêtes d'opinion et sondages démontrent que dans son entourage comme dans son électorat, l'on observe de plus grandes réticences au féminisme, ou même à la possibilité de désigner une femme, ce qui peut l'handicaper.
Mais d'un autre côté, ces réticences ne sont pas du tout propres à la droite, elles étaient partagées au sein du Parti Socialiste dans le cas de la course à la présidence de Ségolène Royal par exemple. Cependant, la campagne de Valérie Pécresse reflète plus encore des rapports de force internes, au sein du parti LR, qui empêchent la candidate de jouer la carte d'unification des conservateurs et des libéraux – qu'elle aurait pu jouer pourtant.
A l'heure actuelle, Valérie Pécresse va plutôt essayer de mordre sur sa droite (où l'offre politique est pourtant déjà pléthorique) que sur son centre (quitte à repousser les libéraux dans les bras d'Emmanuel Macron). Et ce alors que, si elle a déjà participé à la Manif pour tous par le passé, était ouvertement opposée à la loi Taubira, sans oublier son ancrage familial qui la positionne dans la classe de la grande bourgeoisie de droite catholique, elle pouvait tout de même donner des gages aux libéraux, ne serait-ce que sur le plan économique, où elle reste très libérale.
MDS : Le livre aurait été écrit, mais pas de la même manière. #MeToo a notamment marqué un moment de rechargement du féminisme identitaire. Il n'y avait pas une structuration à ce point visible des femmes en tant que féministes identitaires auparavant. De même sans #MeToo, il n'y aurait pas eu des collectifs comme Némésis.
Et plus encore, cette manière dans certains mouvements de se saisir des violences faites aux femmes pour mieux stigmatiser les personnes issues de l'immigration africaine, que ces militantes estiment être les auteurs de ces violences. #MeToo a conféré à tout cela une vraie caisse de résonance.
MDS : Il y a effectivement une dimension générationnelle forte. Ces femmes ne sont pas prêtes à renoncer à la question de leur corps, de leur désir, de leur consentement, de leur sexualité, tout en portant un projet politique de droite.
Je pense à une figure comme celle de Solveig Mineo, qui envisage clairement l'absence de consentement et la prédation des hommes comme un problème, ce qui n'est pas forcément le cas de ses aînées. Pour le coup, on observe un vrai décalage entre une figure médiatique comme Elisabeth Lévy et les réactions de certaines de ces jeunes femmes de droite, pour qui "un non reste un non".
Les nouvelles femmes de droite, par Magali Della Sudda
Editions Hors d'atteinte, 280 p.