Sarah Gavron aime conter les femmes, les magnifier à l'écran. Réalisatrice féministe passionnante, la cinéaste britannique fait partie de cette nouvelle garde de cinéastes européennes qui participe à bousculer les représentations et braquer les projecteurs sur ces figures féminines de l'ombre. Après sa jeune héroïne originaire du Bangladesh dans Brick Lane et ses très réussies Suffragettes (récompensées aux British Independent Film Awards), Sarah Gavron signe Rocks (qui sortira le 29 avril 2020 en France) dans laquelle elle suit les tribulations d'une ado de 15 ans, qui, en l'absence de sa mère, tente d'échapper aux services sociaux avec l'aide de sa joyeuse bande de copines.
Alors qu'elle présente cette nouvelle livraison dans le cadre des Arcs Film Festival, nous avons interrogé Sarah Gavron sur sa place de réalisatrice dans l'industrie cinématographique, sur sa perception des changements post #MeToo et sur ses inspirations.
Terrafemina : Qu'est-ce qui freine les réalisatrices encore aujourd'hui ?
Sarah Gavron : Selon moi, c'est une parfaite combinaison de facteurs : le milieu de la réalisation est dominé par les hommes et a évolué lentement. Et je dirais que c'est partiellement parce que cet art se mixe avec le business. La réalisation implique beaucoup d'argent et on ne fait traditionnellement pas "confiance" aux femmes lorsqu'il s'agit d'argent ou de business...
La structure est également construite de façon très hiérarchique : un·e realisateur·rice menant parfois une centaine de personnes et la société ne s'attend pas à voir des femmes au sommet de la hiérarchie. Et puis faire des films prend des années de ta vie. Donc si tu prends soin d'enfants ou de personnes âgées, tu es obligée de les abandonner 24h/24 et 7 jours/7 quand tu réalises un film. Or ce rôle d'"aidant" est majoritairement dévolu aux femmes... Mais cela change ! On est en train de défier la hiérarchie et les femmes prouvent encore et encore qu'elles sont capables de faire des films à succès. J'ai vraiment de l'espoir.
S.G. : Je pense que j'ai été chanceuse. En tant que réalisatrice, j'ai choisi mon équipe et j'ai surtout travaillé avec beaucoup de femmes. C'est comme cela que je me suis protégée. J'ai aussi travaillé avec des hommes qui m'ont soutenue. J'ai été chanceuse d'avoir trouvé les bonnes personnes pour m'entourer.
S.G. : Nous avons de merveilleuses réalisatrices, de Sally Potter à Andrea Arnold, Lynne Ramsay, Carol Morley, Tinge Krishnan, Clio Barnard, Amma Asante et tellement d'autres. Nous, les réalisatrices, sommes encore minoritaires, mais je sens qu'il y a une volonté de changer ça. De nouvelles voix excitantes sont en train d'émerger comme Rose Glass, Rungano Nyoni... Pour ma part, je regarde toujours le cinéma français comme une inspiration et je suis en admiration sur le nombre de réalisatrices que vous avez en France.
S.G. : Cela a été une secousse infiniment bienvenue. Je suis très reconnaissante envers ces femmes incroyablement courageuses qui ont osé parler et ont lancé le mouvement #MeToo et aussi envers les femmes qui ont mis le changement en oeuvre à travers Time's Up. Je sens un vrai changement. Plus d'ouverture aux femmes dans les films, moins de tolérance vis-à-vis des attitudes sexistes... Cela me donne plus de confiance quand je suis dans la même pièce que des hommes.
S.G. : Lorsque j'ai fait mon film le plus récent, Rocks, mon équipe et moi avons décidé de recruter majoritairement des femmes pour notre équipe et des femmes qui se rapprochaient le plus possible de notre casting : donc jeunes et issues de milieux très différents.
Il y a eu une révélation pour moi aussi : à la minute où j'ai décidé de ne rencontrer que les femmes cheffes des départements, j'ai découvert des femmes fantastiques, talentueuses, qui n'avaient jamais été dans mon radar jusqu'à présent.
Le mentorat aussi est vital. Soutenir les femmes qui montent les échelons et ne pas s'attendre à ce qu'elles aient les mêmes structures et réseaux et du coup, reconnaître que nous avons à les construire tous et toutes ensemble. Je pense qu'il faut également s'engager en tenant compte (en tout cas, certainement en Grande-Bretagne) du fait que la réalisation est un milieu très difficile à conquérir, pas simplement pour les femmes, mais pour les personnes qui n'ont aucun contact et de soutien financier. Plus le périmètre des autrices et auteurs sera large, plus les histoires seront riches.
S.G. : La leçon de piano de Jane Campion. Mais je pourrais en citer tellement d'autres qui ont émergé. J'ai adoré par exemple Divines de Houda Benyamina.
S.G. : Il y en a trop ! J'ai été très chanceuse de diriger déjà pas mal de mes actrices préférées. Et pour avoir travaillé avec quelques nouvelles têtes sur mon nouveau film, Rocks, j'ai réalisé qu'il y avait beaucoup d'actrices qui allaient émerger dans les années à venir. C'est excitant !
S.G. : Greta Thunberg. L'"effet Greta" a été énorme. Cela me donne de l'espoir dans le fait que les choses puissent changer. D'un coup, les politiciens se sont ouvert à des idées qu'ils n'avaient jamais contemplées jusqu'à présent. Mes enfants sont tellement inspirés par Greta...
Et en termes d'art, je viens juste de voir une exposition de Charlotte Salomon. Elle est morte à l'âge de 26 ans dans un camp d'extermination mais a produit une incroyable série de peintures durant sa courte vie, des peintures qui en disaient long sur ce qu'elle vivait. Elle était un peu comme une autrice de romans graphiques, quelque part. Et je suis en train de lire le livre de Bernadine Evaristo, Girl, Woman, Other, qui a gagné le Booker Prize cette année. C'est mon autrice préférée de tous les temps !