Chaque année a son tube de l'été. Phénomène commercial, le tube de l'été peut être associé à un·e artiste étoile filante qui viendra enflammer les dancefloors (et les plages) avant de prendre la poudre d'escampette rapido. Mais aussi à des superstars, françaises comme étrangères, qui depuis ont enchaîné hit sur hit.
Quand on dit tube de l'été, avouons-le, les images qui émergent sont dépaysantes, chaudes, solaires, et envahies de gimmicks musicaux faciles. Exemple ? L'iconique Sabrina qui, dans sa piscine bleutée, entonne Boys Boys Boys. Les corps qui se trémoussent au son de La Lambada, du groupe Kaoma. Ou, un cran au-dessus, l'air obsédant de La Bamba, signé par Los Lobos. Et encore, on ne vous fera même pas l'affront de citer la Macarena de Los del Río (oups, trop tard).
Ce qui fait danser l'été est rarement révolutionnaire. On le constate avec le succès gigantissime du Blurred Lines de Robin Thicke, tube de l'été de 2013 depuis largement fustigé pour sa misogynie. Mais entre deux Sunlights des Tropiques un brin ringardos et autres Despacito plutôt ronflants, force est de constater que les tubes de l'été ne se limitent pas aux sons-rouleaux compresseurs dont les paroles laissent circonspect (euphémisme), loin de là.
On pourrait volontiers élargir la définition de ce concept marketing. Un tube de l'été, chose fondamentale, fait avant tout danser - furieusement. Dans son clip, il amène des couleurs estivales. Les plus entêtants ont même des allures d'hymne : on peut retenir et clamer les paroles à force d'écoutes. Ce qui fait entrer dans cette catégorie bon nombre de chansons sorties en été, cartons musicaux absolus qui s'avèrent même riches de sens par-delà leur efficacité pop bien conçue. Et plus encore que sensés, ce sont des hits joyeusement féministes.
Car oui, les femmes, et les artistes aussi iconiques que décomplexées, ont fortement contribué à la longue histoire du tube de l'été. Bien sûr, en disant cela, on pense spontanément au Whenever, Wherever de Shakira (l'une des reines en ce domaine des années durant), au Voyage, Voyage de Desireless ou pour les plus nostalgiques au Sur un air latino de Lorie – on ne s'en lasse pas. Mais pas seulement.
La preuve en six sons complètement imbattables.
Indépassable. La Isla Bonita reste l'un des cartons sûrs de Madonna et l'une des plus évocatrices expressions de son personnage médiatique. Oui, il est d'emblée évident que ce son coche toute les cases du tube de l'été : dimension exotique indéniable (de l'atmosphère dépeinte dans le clip aux paroles en passant par les genres musicaux investis), rencontre des cultures (et des langues), évocation de la samba, histoire d'amour...
Mais La Isla Bonita semble aussi définir ce qu'est Madonna, lorsque cette dernière tresse avec sa voix les lauriers d'une "nature libre et sauvage" - libre et sauvage, à son image. Romantisme, émancipation, voyage et liberté : la chanteuse mélange les tonalités et fait passer une grande partie de l'intensité de ce tube à travers les mouvements de son corps, délicatement sulfureux. Comme au rouge de sa robe, il appuie cette dimension fiévreuse.
Il arrive parfois que les genres ou phénomènes marketing les plus anodins se voient transcendés par des artistes libres. C'est ici le cas du tube de l'été, dont Clara Luciani se réapproprie mille images avec Le reste : danse contagieuse, cadre estival (on se baigne même dans des citrons à la belle couleur du soleil), histoire d'amour (encore), refrain tout simple qui ne demande qu'à être chantonné encore et toujours, comme une obsédante rengaine.
Sauf que voilà, Le reste est avant tout une chanson de Clara Luciani. Comme dans les romans de Françoise Sagan, l'été côtoie la mélancolie (la chanteuse évoque un amour passé) et la tristesse, la sensualité - "Je ne peux pas oublier ton cul, ni ce grain de beauté perdu sur ton dos, ni la peau de ton cou", décrit l'interprète. Un ton pas si courant d'ailleurs dans la variété française. Un tube de l'été pas comme les autres donc, dont la liberté toute féministe, les chorégraphies enjouées et le décor clignent de l'oeil au cinéma de Jacques Demy.
Difficile de trouver plus charismatique "bad girl" que Rihanna. La superstar barbadienne en témoigne avec ce hit qui démontre toute l'étendue de sa personnalité, capable de concilier succès monstre et audace artistique. Car le moins que l'on puisse dire c'est que dans Man Down, la frontalité des paroles contraste avec les couleurs chaudes du clip, des tonalités plus insouciantes qu'autre chose, et le genre musical investi - le reggae.
En deux mots, Rihanna raconte l'histoire d'une jeune femme qui a tué un homme après avoir été victime d'un viol. C'est dire si dans la catégorie des tubes de l'été, celui-ci détonne ouvertement, par la noirceur de son propos. Sans grande surprise, Man Down a d'ailleurs suscité la polémique - et même la censure ! - lors de la sortie de ce clip il y a dix ans déjà... Clip depuis visionné des centaines de millions de fois sur YouTube.
Peut-on sérieusement imaginer un été sans Catherine Ringer ? Evidemment que non. L'ovni de la chanson française se déchaîne dans le clip de Marcia Baïla, alignant looks iconiques (cette coiffure !) et danses électriques. C'est l'été, mais la chanteuse glisse du chaud au froid en enchaînant refrains fracassants et sérénade plus douce. Enorme succès en France au sein de l'été 1985, ce hit déploie également une histoire pas si ensoleillée...
Car malgré sa dimension exotique et cette envie irrésistible de bouger qui nous prend à chaque écoute, cette chanson n'est pas un tube de l'été anodin. Catherine Ringer et Fred Chichin rendent ici hommage à la danseuse et mannequin argentine Marcia Moretto, ancienne professeure de danse de l'iconique chanteuse. Marcia Moretto est morte d'un cancer du sein au début des années 80.
Ce son est donc une déclaration d'amour d'élève à professeure pour Catherine Ringer, de femme à femme également, mais surtout d'amie à amie. Et "amour" n'est pas un mot trop faible quand on écoute les paroles, admiratives, sororales, passionnées : "Marcia elle est maigre, belle en scène, belle comme a la ville / La voir danser me transforme en excitée [...] Moretto, comme ta bouche est immense quand tu souris / Et quand tu ris, je ris aussi / Tu aimes tellement la vie".
Obscène, kitsch, spectaculaire... Tous les qualificatifs conviennent à WAP, hit et clip porté par deux superstars sulfureuses et féministes, Cardi B et Megan Thee Stallion. Les rappeuses valorisent une imagerie frontale et exacerbée, à la fois hyper-sexuelle et intensément badass. Au sein d'une vaste manoir aux décors rococos, anacondas (petit clin d'oeil à Nicki Minaj ?) et twerks ponctuent des paroles insolentes et très éloquentes - "This pussy is wet, come take a dive". De quoi faire hurler les chevaliers blancs du supposé bon goût.
"Oh Djadja, y'a pas moyen Djadja". Aya Nakamura est l'une des reines des tubes de l'été en France, entre ce Djadja-là, sorti en 2018 (déjà), et un hit tout aussi dévastateur comme Pookie, sorti l'année suivante. Au gré des paroles, l'interprète impose déjà son nom et sa liberté, aussi flamboyante que ses chorés. Qui n'a jamais dansé l'été sur du Aya Nakamura, artiste française la plus écoutée au monde sur les plateformes de stream ? Une question rhétorique qui érige la chanteuse sur son trône depuis quatre ans. Mais pas seulement.
C'est aussi l'identité de sa musique, plurielle, qui fait toute la diff'. Narjes Bahhar, rap editor chez Deezer, le dit bien à Terrafemina : "Aya est une chanteuse, elle fait de la pop, possède un ADN R'n'b, afro-caribéen... Elle crée énormément de titres qui sont des morceaux de zouk. Tout ça se retrouve dans son univers, et ne va pas non plus l'empêcher, dans sa façon de chanter, d'avoir un style qui s'apparente parfois à un flow de rappeur. Il est impossible de catégoriser le genre dans lequel elle évolue".