En Turquie, les violeurs d'enfants peuvent se réjouir : certains d'entre eux devraient pouvoir échapper à leur condamnation... grâce au gouvernement lui-même. En effet, le 17 novembre 2016, le Parlement turc a voté en première lecture une loi visant à suspendre la condamnation d'une personne accusée d'agression sexuelle sur mineur si le coupable épouse sa victime. Cette loi défendue par l'AKP, le parti au pouvoir, aurait difficilement pu être plus abjecte, puisqu'elle semble légitimer le viol en incitant au mariage précoce, un fléau déjà très en vogue dans la société turque. Retour sur une initiative de mauvaise augure dans un pays où la situation des droits humains ne cesse de se dégrader depuis les législatives de 2015 et les flambées de violence entre les forces rebelles kurdes (PKK) et le gouvernement turc qui ont suivi.
Bien qu'une deuxième lecture soit nécessaire avant que la loi soit définitivement adoptée, il y a d'ores et déjà de quoi s'affoler. En effet, dans un pays où la censure s'intensifie au fur et à mesure que la justice s'obscurcit, cette proposition visant à légitimer le viol sur mineur est le symbole d'un dramatique recul des droits de l'homme.
Cette action rétrograde a été pourtant défendue par le gouvernement turc, qui explique qu'elle ne vise qu'à protéger les couples dont l'un des membres est mineur mais "consentant". "Les mariages précoces sont malheureusement une réalité. Certains hommes ne connaissent pas la loi (l'âge légal minimum du mariage en Turquie est 17 ans, ndlr). Lorsqu'un enfant naît de cette union non-officielle, le médecin prévient le procureur, et le mari est envoyé en prison, plongeant la femme et l'enfant dans les difficultés financières", a expliqué d'après BFM le Premier Ministre, Binali Yildirim. Selon lui, 3000 familles seraient victimes de cette situation et souffrent injustement de la punition de ces hommes, qui "ne sont pas des violeurs, pas des agresseurs sexuels". La loi actuellement en débat, devrait permettre de "lever l'injustice" et même de "protéger les enfants", selon le Ministre de la Justice Bekir Bozdag, qui explique qu'elle pourrait annuler toute condamnation pour agression sexuelle "sans force, ni menace ou contrainte" sur mineur commise avant le 11 novembre 2016, s'il y a mariage.
Mais le simple fait qu'on parle d'"agression sexuelle sans contrainte" est une aberration des plus effrayantes, comme l'a soulignée Ruhat Sena Aksener , d'Amnesty International en Turquie : "Le ministre de la Justice a utilisé l'expression agression sexuelle sans contrainte. Il n'y a rien d'autre à ajouter, je pense". Absurdement, la légitimité de la loi dépend donc de ce que l'on pourra définir comme une absence de contrainte.
Or, la société turque demeure profondément machiste : la valeur d'une femme dépend toujours de sa virginité et de son mariage, ce qui les pousse à se marier au plus vite. Il ne faut pas sous-estimer la très forte pression exercée par les familles sur les filles pour qu'elles acceptent de se marier durant leur enfance. Dans un tel contexte, déterminer si l'absence de contrainte est véritable ou si la pression de leurs pairs poussent les jeunes filles au silence promet d'être une tâche délicate... et un combat perdu d'avance. Cette loi revient donc à livrer poings et pieds liés à leurs bourreaux des fillettes muselées par le poids des coutumes. Et cela, tout en donnant le sentiment de dépénaliser le viol et d'encourager les mariages des mineurs, deux des principaux fléaux qui déciment les enfants à travers le monde, comme le rappellent les chiffres de l'UNICEF à l'occasion de la Journée de l'enfance du 20 novembre 2016.
Sur la Toile, les internautes se révoltent donc pour empêcher ce massacre organisé de l'enfance de leur pays : "L'AKP (parti au pouvoir, ndlr) a fait passer un texte qui pardonne ceux qui épousent l'enfant qu'ils ont violé", s'est par exemple insurgé sur Twitter un député social démocrate (CHP), Özgür Özel.. Depuis jeudi, le hashtag #OnNePeutLégitimerUnViol (##TecavüzMesrulastirilamaz en turc) fleurit partout sur les réseaux sociaux afin de mobiliser l'opinion internationale. Une pétition lancée sur Change.org afin d'empêcher la loi de passer, a déjà été signée plus de 800 000 fois.
Et si l'on espère que l'indignation désormais internationale suffira à bloquer cette loi infamante, on ne peut que s'alarmer devant ce monde au bord du "vertige", comme l'a si justement dit l'ambassadeur français aux Etats-Unis le jour de l'élection de Trump: c'est un pas de plus vers l'obscurantisme qu'a fait la Turquie en voulant sauver ses violeurs plutôt que ses filles.