C'est une banale page Facebook, faite de motifs floraux harmonieux et de produits cosmétiques soigneusement shootés. Oui, pas de grande différence entre la page de la boutique numérique polonaise "Rumianki i Bratki" et n'importe quel "e-shop" beauté. Sauf que tout cela n'est qu'une façade : celles qui se rendent sur cette (fausse) page commerciale afin de "commander" des produits viennent témoigner de violences conjugales, sous un langage codé.
En cas de violences domestiques, subies ou observées, l'internaute n'a qu'à communiquer par messagerie privée ou e-mail et "passer commande" en précisant son adresse (idéale pour alerter la police). Une boutique en toc donc, mais une vraie initiative d'aide et de prévention. L'on doit ce leurre à une étudiante de Varsovie, Krysia Paszko.
Pour cette lycéenne comme les autres, il était plus qu'urgent de proposer ce genre de services à l'heure où, confinement oblige, bien des femmes se retrouvent isolées, sous l'emprise de leur conjoint et agresseur. Or, quoi de plus commun qu'un service de cosmétiques ? On ne peut qu'applaudir le stratagème.
"Quel que soit votre âge ou votre sexe, notre magasin de cosmétiques naturels a certainement quelque chose à vous offrir : tout ce que vous avez à faire est de nous faire confiance", affirme la page Facebook de "Rumianki i Bratki". Il faut savoir lire entre les lignes. Cela fait quelques semaines que Krysia Paszko propose ses services sur cette façade commerciale montée de toutes pièces. Comme elle l'explique au média national Kobieta, c'est après être tombée sur un article consacré à la recrudescence des violences domestiques durant le confinement et avoir découvert les initiatives à l'international (notamment le recours "codé" aux pharmacies en France) que l'étudiante a décidé de lancer cette page fictive de cosmétiques "éthiques".
"Je voulais faire savoir que si quelque chose se passait et que si quelqu'un voulait parler, alors j'essaierai de l'aider", explique-t-elle. En cette exceptionnelle période d'isolement, l'adage du "Restez chez vous" est synonyme de menace pour les femmes violentées. Mais communiquer avec elles sans alerter leur agresseur est possible, par le biais des "chatroom" intégrées aux jeux mobile et extensions (comme Netflix Party) par exemple. La messagerie instantanée pour mieux alerter, c'est aussi l'idée de la lycéenne, dont la création ne parle pas ouvertement de "SOS" face aux violences, non, mais de "crèmes qui sauvent la peau".
Résultats ? La page s'est vue partagée plus de 18 000 fois en cinq jours. Les anonymes qui contactent Krysia Paszko sont renvoyées vers des associations d'aide, des organismes dédiés (comme le Centre des droits des femmes), des spécialistes, des psychologues, toujours de garde sur le site. Et la lycéenne n'hésite jamais à contacter la police à chaque "commande" alarmante. Et même à envoyer un taxi aux "clientes" menacées. Autant dire qu'avec plus de 10 500 abonné·e·s, les "suivis" alertes de ce genre ne manquent pas.
Si le contexte actuel a allumé la mèche (qui dit confinement dit augmentation des violences, en Pologne comme en France), rien d'étonnant à voir cette étudiante agir pour le respect (et la survie) des femmes. A Kobieta toujours, Krysia Paszko se décrit comme une ado éveillée, qui s'intéresse aux droits de l'homme, multiplie les initiatives solidaires (envers les sans-abris de Varsovie notamment), s'est engagée pour la cause écologiste (en s'accordant à la fameuse "Grève étudiante" de Greta Thunberg) et a pour projet de devenir avocate. Un CV déjà bien fourni s'il en est. Et des convictions qui, en ces temps troublés, riment avec "action".
- Si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales, appelez le 3919. Ce numéro d'écoute national est destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés. Cet appel est anonyme et gratuit.
- En cas de danger immédiat, appelez la police, la gendarmerie ou les pompiers en composant le 17 ou le 18.