C'est un événement qui fait couler beaucoup d'encre. Lors de la dernière cérémonie des Oscars, ce 27 mars, Will Smith, qui a reçu la statuette du meilleur acteur pour sa performance dans La méthode Williams, est arrivé sur scène... en giflant le comédien et humoriste Chris Rock. Ce dernier s'était moqué lors de son discours de la femme de l'acteur, Jada Pinkett Smith, qui souffre d'alopécie. Après sa gifle, Will Smith a notamment décoché à l'encontre du présentateur : "Garde le nom de ma femme hors de ta putain de bouche !".
Au sein des réseaux sociaux et notamment des militances féministes, cet acte qui a stupéfait bien du monde (l'assistance des Oscars en premier) a divisé. D'autant plus que Will Smith s'en est excusé d'une bien curieuse manière. En recevant l'Oscar du meilleur acteur, l'artiste a associé son acte à de "l'amour" : "L'amour vous fait faire des choses folles", a-t-il déclaré, les larmes aux yeux. Comme si amour et violence étaient indissociables.
Difficile de ne pas voir là un geste de masculinité toxique : l'homme qui pense sauver l'honneur de sa femme (et surtout le sien) par la violence physique. Cependant, c'est également la violence de la blague de Chris Rock qui a été pointée du doigt. Notamment parce que Jada Pinkett Smith a eu le courage par le passé d'aborder son alopécie en public.
Pour le journal Libération, Chris Rock est ainsi l'auteur d'une "blague miteuse sur la maladie auto-immune d'une femme qui met en scène avec courage son alopécie". Pour les militantes afroféministes, cette affaire est de fait un exemple flagrant de "misogynoir". Un vrai enjeu de société qui se doit d'être abordé.
La misogynoir désigne la misogynie dont sont victimes les femmes noires, cibles de bien des préjugés et stigmatisations. Un sujet particulièrement pertinent quand il est question d'alopécie. Comme le rappelle le magazine Glamour, l'alopécie chez les femmes noires est un tabou très fort. "Pour les femmes noires, les cheveux ne sont pas que des cheveux mais l'endroit où la société projette des notions racialisées de 'ce qui est beau' et de 'ce qui ne l'est pas'. En tant qu'individu, c'est une partie intrinsèque de nos identités : dois-je garder mes cheveux crépus ? Les détendre ? Ou dois-je simplement porter une perruque ?", s'interroge le magazine.
A cela faut-il ajouter la réalité des discriminations capillaires dont sont victimes les personnes noires, notamment en arborant des cheveux crépus ou afros. La parole publique de Jada Pinkett Smith à ce sujet est donc précieuse. Et son refus de porter des perruques est la démonstration d'un indéniable courage et d'une acceptation de soi aussi intime que collective - se montrer soi pour encourager les principales concernées à faire de même.
"Le fait qu'un homme puisse monter sur scène et faire une blague sur une femme noire souffrant d'un problème de santé est enraciné dans la "misogynoir". Tout le monde a toujours quelque chose à dire sur les cheveux d'une femme noire. Je ne blâme pas Will Smith du tout", s'est ainsi exprimée une internaute sur Twitter.
Une autre abonde : "Les gens sont tellement habitués à ce que les femmes noires ne soient pas protégées. Une grande partie du scandale est vraiment liée au fait qu'elle soit traitée comme quelqu'un qui mérite de l'être".
Cependant, le geste de Will Smith n'en reste pas moins l'expression d'une "violence viriliste, [sauvant] l'honneur bafoué de son épouse, comme au temps des chevaliers, avec force jurons et justifications douteuses", synthétise le journal Libération. Une vision de "l'amour" dangereuse notamment fustigée dans le dernier essai de Mona Chollet, Réinventer l'amour.
En plus de s'apparenter aux discours régulièrement associés aux auteurs de violences conjugales et aux relations toxiques (si ce n'est aux auteurs de féminicides), ce "l'amour vous fait faire des choses folles" exprimé par Will Smith, et la gifle qui lui est associée, invisibilise également la véritable victime de cette affaire : Jada Pinkett Smith. C'est là la grande problématique de cet incident regrettable.