Excision, mariage précoce, violences conjugales, inégalité salariale, discrimination de genre, agressions sexuelles, harcèlement de rue... Dès qu'on s'attaque aux maux qui menacent les femmes aujourd'hui, on se heurte immédiatement à un mur de traditions et d'idées reçues. Certaines habitudes ou usages passés persistent insidieusement malgré les années, et pèsent lourdement sur la représentation de la femme dans le monde – et donc son traitement. C'est là tout l'intérêt des modèles féminins. Désigner des porte-paroles féminines, modernes et puissantes est crucial : cela permet de revaloriser les femmes, et ainsi de s'éloigner de l'image figée et restrictive qu'on pouvait avoir d'elles.
C'est pourquoi l'ONU a décidé de mettre en avant la lutte pour l'égalité des sexes : comme elle l'explique dans son communiqué officiel, ce n'est pas seulement "un droit fondamental, mais une nécessité pour un monde prospère, paisible et durable". Dans le cadre de ce projet, l'organisation a dû désigner le 13 octobre 2016 une ambassadrice honoraire pour l'émancipation des femmes et des filles. Et c'est là que la farce commence : pour emblématiser les femmes, l'ONU a choisi Wonder Woman. Autrement dit, le personnage de DC Comics, une femme de papier en justaucorps ajusté qui a été dessinée pour la première fois il y a 70 ans par un homme.
L'avatar sera utilisé sur les réseaux sociaux afin de promouvoir des messages contre les violences de genre. Mais si l'idée de fond est bonne, Wonder Woman n'a pas le vent en poupe. Sa nomination, qui annonce également le lancement d'une énorme campagne de pub sur un an sponsorisée par DC Entertainment et Warner Bros (producteurs du film Wonder Woman de Patty Jenkins qui sortira le 2 juin 2017), est rapidement passée du coup de pub juteux au bad buzz. Et pour cause : on peine à comprendre pourquoi avoir choisi de donner la parole à une héroïne fictive plutôt qu'à une vraie femme. Il y a presque de quoi se sentir spolié : l'ONU aurait-elle prétendu vouloir donner la parole aux femmes avant de mieux leur retirer ? Au lieu d'être représentées par une personnalité inspirante, avec un vécu, une sensibilité et des idées personnelles sur les problèmes de violences de genre, qui aurait pu militer réellement pour les droits des femmes, on se retrouve avec une héroïne de comic books, qui est aussi devenue un produit marketing.
L'ONU a des antécédents, en la matière : The Telegraph rappelle qu'elle avait fait de Winnie l'Ourson l'ambassadeur de l'amitié en 1998, et de la Fée Clochette l'ambassadrice de la planète en 2009. Mais cette approche désinvolte d'un sujet si dramatique, qui demande encore tant d'efforts et de combats, a de quoi déconcerter. Les 720 millions d'enfants mariées de force avant leur majorité dans le monde, les 140 millions de fillettes excisées, les femmes qui meurent tous les jours sous les coups de leurs maris ou des suites d'un viol, n'avaient pas besoin d'une jolie figurine qui présente bien et symbolise l'empowerment. Par contre, elles auraient peut-être méritées un porte-parole qui puisse la prendre pour les défendre, tout simplement. L'ONU illustre bien mal la parité qu'ils mettent tant à l'honneur, et cela y compris au sein même de l'organisation.
En effet, le timing de la nomination de Wonder Woman a été quelque peu malencontreux, pour l'Organisation des Nations Unies : la héroïne de DC Comics, devenue ambassadrice honoraire quelques jours après que Ban-Ki Moon ait cédé son poste de Secrétaire général de l'ONU à l'ancien premier ministre portugais Antonio Guterres, n'a fait qu'attirer l'oeil du grand public sur le choquant manque de parité de l'organisation internationale.
Le processus de nomination du Secrétaire général se voulait transparent, et c'est comme ça qu'on a pu apprendre que parmi la dizaine de candidats qui se sont présentés, 7 étaient des femmes, soit plus la moitié. La représentante colombienne María Emma Mejía Vélez avait réussi à former une coalition de 60 pays parmi les 193 membres de l'organisation, afin de faire pression pour qu'une femme soit nommée à la tête de l'organisation : en 70 années d'existence, cela ne s'est jamais produit.
"'J'ai été surprise que le Conseil de Sécurité n'ait trouvé aucune des 7 candidates suffisamment compétentes pour être Secrétaire générale ou Secrétaire générale adjointe", raille Mme Mejía dans le New York Times. Et le phénomène s'étend à bien plus que ça : le journal a étudié les nominations en 2015 et s'est rendu compte que parmi les seniors embauchés (aux postes à hautes responsabilités), 9 sur 10 sont des hommes. "Les Nations unies sont douloureusement en retard dans leur promesse d'assurer la parité dans les nominations de hauts responsables", concluait le média. De quoi discréditer le programme de lutte pour la parité de l'ONU : malheureusement, parfois, c'est bien ceux qui en parlent le plus qui le font le moins.